Capitaine Pierre DESAULLE
Mémoires de guerre 14/18
1er septembre : Après une bonne semaine de permission passée en famille me voici de nouveau sur le front animé d’une ardeur nouvelle. Vraiment l’institution des permissions a été une idée excellente. J’apprends en arrivant que la batterie d’Ainval quitte la Louvière et que je dois monter la remplacer avec ma section. Je monte donc dans la matinée à cette position de la Louvière pour prendre mes dispositions au sujet de ce mouvement. Au moment où j’y arrive j’aperçois au-dessus d’Aubreville un combat d’avions, d’ailleurs fort court et qui se termine malheureusement par la chute du français. L’avion boche, poursuivi par la canonnade arrive à s’échapper. En rentrant le soir au cantonnement quelle n’est pas ma stupeur d’apprendre que l’avion que j’ai vu tomber ce matin était monté par Moisan notre bon camarade de la 2ème batterie ! Le pauvre garçon s’est écrasé près de Parois et on n’a pu relever que son cadavre horriblement mutilé. Depuis quelques semaines en effet Moisan était attaché à l’escadrille du Corps d’Armées en qualité d’observateur, fonction qu’il avait déjà remplie en temps de paix au camp de Chalons dans les premières tentatives de réglage par avion. Quelle douleur pour sa pauvre mère veuve et qui n’avait plus que ce fils pour l’aider à vivre.
2 septembre : Je repars le matin à 7 heures pour la position de la Louvière que la 2ème batterie nous rend dans un état déplorable de saleté et d’abandon. De plus c’est maintenant un véritable village nègre, chaque poilu ayant construit sa cagna. Gadet vient m’y retrouver le soir et m’apprend que le père Bailly nous quitte pour les Dardanelles. Depuis plusieurs semaines il avait fait sa demande pour s’en aller ne voulant plus être sous les ordres du général Sarrail et voilà que sa mutation arrive juste au moment où le général Sarrail vient de quitter l’Armée pour aller justement aux Dardanelles ! Il est trop tard maintenant pour demander à rester.
Ce dédoublement de notre batterie montre que décidément on ne veut pas se séparer de nous. Je sais d’ailleurs que le commandant du Corps d’Armées a dit qu’il ne répondait plus de rien si on lui enlevait sa batterie de 155 CTR.
Depuis plusieurs jours il fait un temps horrible, pluvieux et froid et le chemin d’accès à notre batterie est horriblement "gadouillard". Je me demande comment cela sera cet hiver.
3 septembre : Ma section de la Louvière devant éventuellement tirer sur Vauquois, je commence à régler mes deux pièces sur cet objectif. Il y a justement à 50 mètres devant nous un excellent observatoire occupé par la 2ème batterie du 45ème d’artillerie commandée par le capitaine Raynaud et en batterie à 200 mètres a notre gauche. De cet observatoire, grâce à une lunette binoculaire, on ne perd pas un détail de Vauquois. Montfaucon même malgré la distance de plus de 13 kilomètres est parfaitement visible. A l’entrée du village sur la route qui descend vers Cheppy on voit nettement le factionnaire boche qui fait les cent pas devant sa guérite. Pendant que j’effectue mon réglage je reçois l’ordre d’aller retrouver mon capitaine à la 17ème brigande. Il m’explique qu’il s’agit de faire une reconnaissance d’objectifs au nord de l’ouvrage nommé DD, dans la branche nord du ravin de Cheppe. Le chemin pour aller à cet endroit passe par mon ancienne position de batterie du mont de Villers, l’ancienne position de la batterie de montagne et la branche sud du ravin de Cheppe. Toute cette région est maintenant bourrée de tranchées et de fils de fer. J’arrive enfin aux ouvrages DD, tranchée située sur la pente sud de la branche nord du ravin de Cheppe. Les tranchées allemandes sont sur la crête en face par conséquent à une assez grande distance. Le secteur a l’air de tout repos et les fantassins qui l’occupent ne paraissent pas se faire de mauvais sang. La tranchée est d’ailleurs faiblement occupée. En cas d’attaque sur la Haute Chevauchée cette position ne serait probablement pas de tout repos car la retraite en serait impossible. Après un examen du paysage j’envoie deux coups de contrôle avec une de mes pièces et rentre à la position de batterie sans autre incident.
5 septembre : Dumay devant partir en permission dans la soirée je monte prendre sa place à la position de batterie. Dans l’après-midi je reçois l’ordre d’aller régler un tir dans le ravin au nord des ouvrages DD. Les allemands font parait-il dans cette région des travaux d’approche et comme ils sont en angle mort pour les batteries du secteur on me demande de régler une batterie de 120 long du Mont des Allieux qui prend sensiblement d’enfilade le ravin en question. L’observatoire le plus commode pour régler me paraissant OO, c'est-à-dire l’ancienne position de Vanderpol au Mont de Villers je m’y rends accompagné d’un de mes téléphonistes. L’observatoire est dans un arbre mais pour y monter il faut prendre de grandes précautions car les boches sont très attentifs. J’enfile donc une blouse couleur feuille morte et une cagoule de la même couleur ce qui me rend parfaitement invisible mais en même temps parfaitement laid. Au bout de 2 ou 3 coups tirés je me rends compte que le point où je suis n’est pas l’observatoire rêvé. Il vaut mieux aller aux ouvrages DD, ce que je m’empresse de faire, mais là si la visibilité est bonne les liaisons téléphoniques sont fort compliquées. Il n’y a pas de lignes d’artilleries et le poste téléphonique d’infanterie le plus proche est à 200 mètres du point où j’observe et je ne peux m’y relier puisque les appareils d’infanterie sont munis d’un appel vibré alors que les nôtres sont à appel magnétique. Mon téléphoniste est donc obligé de faire la navette entre le point d’où j’observe et le poste téléphonique. De ce poste mes commandements sont transmis à la brigade qui, sous la forme de messages écrits, les transmet au poste voisin d’artillerie. Celui-ci les envoie enfin à la batterie intéressée par l’intermédiaire du central de RG de Clermont et du Rendez-vous de Chasse. Dans ces conditions il n’est pas surprenant que mon réglage se poursuive avec une lenteur désespérante. Entre chaque coup il s’écoule une moyenne de 40 minutes. A 18 heures j’ai terminé et il est temps car la nuit commence à venir et je voudrais bien profiter des dernières lueurs du jour pour rentrer. A 19 heures je suis enfin de retour à la position.
8 septembre : La situation est toujours calme et comme notre installation est presque terminée les journées nous paraissent longues. Quelques-uns de mes hommes se distraient à la pèche dans l’étang d’Abaucourt. Le gibier est toujours nombreux et la nuit j’entends les sangliers se disputer à ma porte les débris de mes repas. Ces jours derniers un de mes pointeurs trouve en plein jour un superbe sanglier en train de se gratter l’échine sur un repère de pointage placé à 20 mètres devant sa pièce. Malheureusement nous ne pouvons pas les chasser car maintenant les ordres sont formels et les gendarmes qui circulent dans le secteur se chargent de faire respecter les consignes. Vanderpol a eu déjà avec les « guignols » plusieurs histoires à cause de ses poilus, aussi il n’aime pas du tout ces représentants de l’autorité ; un jour il en aperçoit deux circulant dans sa batterie : il se dirige vers eux « Pardon messieurs, que faites-vous ici ? –Mon lieutenant nous faisons une ronde. –Ronde de quoi ? – Ronde de service puisque nous sommes gendarmes. – Gendarmes ? Gendarmes c’est vous qui le dites. Vous êtes, il est vrai, habillés en gendarmes, mais qui me prouve que vous êtes gendarmes ? D’ailleurs les gendarmes ne viennent jamais aussi près du front. Pourriez-vous me montrer un ordre de mission vous invitant à venir, au péril de votre vie, dans cette zone dangereuse ? – Non mon lieutenant, mais… -Il n’y a pas de mais ! Je regrette infiniment mais je vais être obligé de vous conduite au poste de commandement de la division où vous prouverez votre identité : Le pays est infesté d’espions et j’ai de bonnes raisons de me méfier. » Cet animal de Vanderpol commande alors 4 hommes baïonnette au canon qui conduisent au poste de commandement les gendarmes honteux et confus. Le résultat le plus net est que par le courrier du soir Vanderpol recevait par le colonel Mourman ? une punition de 8 jours d’arrêts. Vanderpol s’empresse de faire encadrer sa punition et la place au-dessus de son lit : « Je n’ai pas obtenu de citation, me dit-il, cela remplacera ! »
Ces montagnards sont vraiment des gens extraordinaires et qui ne doutent de rien. Quelques jours avant le 13 juillet Vanderpol m’avait invité à visiter sa position de batterie pour voir en action ses tout petits canons servis par de si grands hommes. La plupart de ces derniers sont d’une force herculéenne : il faut cela pour bâter les mulets et hisser sur leur dos les différentes pièces du canon, dont l’affut qui pèse plus de 100 kilogrammes. Un des servants, pour me montrer sa force, nous porte les armes avec le tube d’un canon comme il le ferait avec un fusil, avec cette différence que le tube du canon pèse 95 kg environ. Pour couronner ma visite Vanderpol m’offre de faire exécuter un tir sur les tranchées devant Boureuilles. Après avoir donné aux pièces les éléments du tir nous partons à l’observatoire de la batterie placé à une centaine de mètres devant les pièces et relié à ces dernières par le téléphone. Vanderpol me décrit le panorama que je connais d’ailleurs fort bien et donne l’ordre à la batterie d’envoyer le premier coup. Celui-ci ne tarde pas à partir mais au même moment nous recevons dans le dos une volée de mitraille. L’obus a éclaté sans doute à la bouche de la pièce et Vanderpol se précipite au téléphone pour avoir des explications : « Mon lieutenant, répond la batterie, il y avait une petite branche devant la pièce ! –Bon, alors tirez de nouveau avec les mêmes éléments ! » Le second coup part, nouvelle bordée de mitraille. Vanderpol bondit au téléphone : »Mais voyons ! La branche n’a pas été coupée par le premier coup ? – Si, mon lieutenant, mais il y en avait une autre. Cette fois ça va passer ! » 3ème coup de canon, 3ème volée de mitraille. Vanderpol est furieux et injurie sa batterie. « Cette fois ci, mon lieutenant, ça passe certainement » 4ème coup de canon suivi d’une 4ème bordée de mitraille. Cette fois Vanderpol n’y tient plus et, revenant à la batterie, quelle n’est pas notre étonnement de voir que la trajectoire du canon traverse le groupe des maîtresses branches d’un énorme chêne plusieurs fois centenaire ! Si nous avions écouté ces braves montagnards nous aurions émondé cet arbre à coup de canon ce qui aurait consommé quelques projectiles !
Aujourd’hui pendant que je suis en train de déjeuner un combat d’avions éclate au-dessus de nos têtes. Soudain le nôtre, un Nieuport, pique et vient tomber à côté du château d’Abaucourt. J’envoie immédiatement quelques hommes dans cette direction pour porter secours à l’aviateur s’il en est besoin. Ils reviennent au bout d’une heure en me disant que l’aviateur est sain et sauf. Il a été obligé d’abandonner le combat son réservoir ayant été percé par une balle. L’atterrissage a été un peu brutal mais l’aviateur, un sous-lieutenant, n’est pas blessé.
Dans la journée, violente canonnade à notre gauche : les Boches attaquent entre le Four de Paris et la Harazée et nous prennent encore plusieurs tranchées..
9 septembre : L’infanterie nous ayant demandé de détruire un certain blockhaus fort gênant au nord de DD, je monte au poste de commandement de l’artillerie pour demander des ordres mais là j’apprends que ce blockhaus signalé le 5 septembre au matin n’existe plus à l’heure actuelle. Il aurait parait-il été démoli par un coup heureux de mon tir de ces jours derniers ! Cette nouvelle me réjouit fort et je n’ai plus qu’à rentrer tranquillement au cantonnement. Sur la gauche les Allemands essaient encore une attaque dans le secteur de la Fontaine aux Charmes.
11 septembre : Je reçois l’ordre de la matinée d’avoir à reconnaître une position près de la Maison Forestière et de l’occuper au plus tôt. Je fais immédiatement cette reconnaissance mais le contre ordre arrive aussitôt ce dont je suis ravi car en cas d’attaque la Maison Forestière ne sera pas un endroit de tout repos, nous l’avons vu le 13 juillet.
Les travaux d’aménagement du secteur sont poussés avec activité mais il y a surtout dans notre organisation deux améliorations sensibles. Tout d’abord nous avons maintenant des masques et des lunettes pour nous protéger contre les gaz.
Ensuite nous avons maintenant une nouvelle coiffure : un casque en acier assez seyant d’ailleurs et qui nous protège suffisamment contre les balles et les éclats d’obus. Des milliers devront la vie à ce casque, invention de l’intendant militaire Adrian.
12 septembre : Aujourd’hui nous avons fêté ou plutôt célébré l’anniversaire de la bataille de la Marne. Je n’ai pu malheureusement m’associer comme je l’aurais voulu aux pieuses cérémonies qui se sont déroulées au Claon puisque j’étais de garde à la position. Cependant à 9 heures je peux assister à la messe aux baraquements Monhaven et à 10 heures à une cérémonie au cimetière de la Maison Forestière qui compte déjà, hélas ! plus de 250 tombes. Les unités qui comptent des morts dans ce cimetière viennent y apporter des couronnes. Des discours vibrants sont prononcés par les commandants d’unités et par le général de division. L’aumônier de la division vient ensuite bénir les tombes qui sont toutes décorées de la façon la plus heureuse et la plus touchante. Sur l’une d’elle une humble couronne de bruyère et de lierre sauvage retient mon attention. Sur une banderole placée en travers de la couronne on lit : « Les poilus de la 7ème escouade de la 3ème du 4 à leurs camarades morts au champ d’honneur ». La banderole est une bande d’un paquet de pansement et l’inscription est faite au crayon à papier ! Je n’ose pas sourire devant ces humbles hommages et me sens pris au contraire par une grande émotion. Les tombes allemandes du cimetière n’ont pas été délaissées. Elles ont été nettoyées comme les autres et une branche verte a été déposée sur chacune d’elle. Une est même ornée d’un bouquet de bruyère : elle contient, dit l’inscription de la croix, les corps de 6 chasseurs du 6ème bataillon de chasseurs silésiens. Vers midi le capitaine qui est aux tranchées règle mes deux pièces à l’ouest de la cote 285 sur une région où l’on prépare, parait-il, une action..
13 septembre : A midi nous exécutons un tir de concentration assez nourri sur la Haute Chevauchée avec une consommation de 195 coups. Les Allemands prennent fort mal la chose et nous envoient quelques obus en plein dans la batterie. Plusieurs de nos avant trains sont criblés d’éclats.
15 septembre : La canonnade est très vive en Champagne. Il se prépare peut être quelque chose de ce côté, mais notre attention est en ce moment ailleurs. La Bulgarie nous donne en effet des inquiétudes et on ne sait pour quel parti elle va se décider. Chaque jour les journaux donnent à ce sujet des renseignements contradictoires. Aujourd’hui l’un d’entre eux annonce que l’accord turco bulgare est signé, demain il nous dira que l’accord est rédigé mais non signé et après-demain que tout est rompu. Pendant ce temps le journal voisin annonce que les pourparlers bulgaro-serbes sont en bonne voie et que l’attitude de la Bulgarie à l’égard de la Roumanie est parfaitement correcte, mais un 3ème larron qui a reçu des informations de Dédé ???? qui d’ailleurs affirme que la Bulgarie, sous prétexte des grandes manœuvres masse des troupes à la frontière grecque. D’autres donnent leur avis sur les rapports serbo-roumains, roumano-grecs, italo-serbes, serbo-grecs, etc…. c’est à ne pas s’y reconnaitre.
17 septembre : Nous avons à la batterie une nouvelle recrue en la personne du vétérinaire Chauris ?? Nous aurions préféré un médecin mais comme ce vétérinaire est un charmant homme il n’y a rien à regretter.
18 septembre : Dans l’après-midi je vais à Rarécourt toucher la solde. Il y a sur les routes d’importants mouvements de troupes et je croise en particulier sur la route vers le Neufour les échelons du 120 long qui montent à Saint Thomas. Le long de la route je suis doublé par plusieurs automobiles et j’apprends en arrivant à Rarécourt que le général Joffre lui-même est venu à Rarécourt avec le général de Castelnau commandant le groupe des armées du centre et le général Humbert commandant la 3ème armée. En rentrant je m’arrête à Clermont chez le colonel Lauth, homme fort sympathique qui remplace le colonel Peyronnel. Je tombe, parait-il, à pic car il y a justement un tir à exécuter dans le ravin des Meurissons. Le colonel me donne les indications nécessaires et me prie de les transmettre au capitaine Poutignat, un artilleur colonial de réserve silencieux et un peu excentrique qui commande l’artillerie lourde R.G. Sur la route de retour je rencontre justement le capitaine Poutignat que je mets au courant du tir à exécuter.
19 septembre : Le tir que nous devons effectuer par concentration de plusieurs batteries a comme objectif une zone d’abris dans le ravin des Meurissons. A 7h30 nous partons, le capitaine et moi, pour aller régler ce tir. Nous passons d’abord à la batterie Froidevaux puis au poste de R.G. puis au Cottage et nous arrivons enfin à O.Q. Le secteur est calme mais une partie de la première ligne est évacuée en prévision de l’explosion d’une mine allemande. Le tir de nos deux batteries est bientôt réglé car l’observation est assez facile. Lebrun commandant la batterie de 155 C de la Louvière règle ensuite ses pièces. Abadie fait de même pour sa batterie de 95 puis nous rentrons. A peine sommes-nous sur le chemin du Grand Triage que les boches se mettent à tirer de tous côtés avec une grande intensité ! Le soir à 16 heures, le tir de concentration des batteries réglé le matin se déclenche. Ma batterie tire pour sa part 200 coups.
20 septembre : André Poupard (NOTE DE L’ÉDITEUR : ami d’enfance de son épouse) étant cantonné à Moiremont je me décide aujourd’hui, jour de repos, à lui rendre visite. Ce n’est d’ailleurs pas à Moiremont que je le retrouve mais dans les bois à 1500 mètres du village, campé sous la tente comme un romanichel. Sa batterie a dû en effet abandonner Moiremont, le village ayant été bombardé assez vigoureusement. Plusieurs hommes et plusieurs chevaux ont été tués. Je vois avec plaisir que ce brave André est tout à fait aguerri et parait supporter vaillamment les fatigues et les dangers de la guerre. Nous bavardons quelques instants mais je suis obligé d’interrompre ma promenade car dans mon secteur la canonnade parait très vive. Je me hâte donc de rentrer lorsqu’en arrivant au Claon je croise l’escadron de Lucien qui remonte du côté de Florent. Un bref bonjour en passant et je rejoins ma position de batterie où j’apprends que la canonnade est plus à droite du côté de Vauquois.
23 septembre : La canonnade, depuis hier, est extrêmement violente à notre gauche en Champagne. La préparation de l’offensive est commencée. De notre côté une action est, parait-il, prévue sur la Fille Morte avec des effectifs réduits. Deux régiments de la division le 76ème et le 131ème ont en effet été enlevés du secteur et envoyés à gauche pour préparer l’attaque. L’activité est assez grande partout, même dans les airs. Les avions se promènent maintenant par groupes de 3 ou 4 et, cette nuit, même un dirigeable français est passé au-dessus de nous, rentrant dans nos lignes. En prévision de cette attaque nous devons régler notre batterie vers le milieu de la Fille Morte et à cet effet je pars vers midi retrouver le capitaine sur le chemin du Grand Triage d’où nous allons au poste du commandant Meurs du 4ème d’infanterie pour nous entendre au sujet de l’évacuation des premières lignes. Cette évacuation s’impose car nous devons régler nos tirs à une cinquantaine de mètres tout au plus de la tranchée française. Nous grimpons ensuite par le boyau jusqu’au poste de la 12ème compagnie du 82ème commandée par le lieutenant Welschinger, fils du membre de l’Institut, bibliothécaire du Sénat. Ce lieutenant est un charmant garçon qui nous reçoit d’une manière fort aimable. Pour régler notre tir le point le plus convenable est l’observatoire O.Q. mais comme nous y arrivons une rafale d’obus de 87 nous y accueille et il semble meilleur de pousser jusqu’à la tranchée de première ligne. Les Boches sont assez calmes mais l’artillerie française au contraire est fort active surtout l’artillerie de tranchée et les torpilles de 58 éclatent sans arrêt sur les tranchées allemandes. J’ai la chance de prendre quelques clichés intéressants.
Juste au moment où je prends une vue vers la droite du côté de la cote 285, une mine explose dans les lignes allemandes et j’ai la chance de pouvoir la saisir. Bientôt d’ailleurs autour de l’entonnoir produit par l’explosion une vive lutte de grenades s’engage. Ma section est assez vite réglée et nous continuons par celle de la Chalade. Les Boches commencent à devenir hargneux et tirent activement derrière nous dans le ravin de Courtes Chausses. Un obus un peu plus court que les autres accroche en passant une souche d’arbre et éclate à 10 mètres de nous avec un bruit déchirant. La fumée dissipée nous nous regardons Meckler et moi, tout surpris de nous voir encore debout. Le réglage cependant se poursuit normalement mais les coups sont toujours longs. Le dernier que nous observons parait être à 200 mètres de nous. « Pensez-vous que je peux raccourcir de 100 mètres ? » me demande le capitaine. « Je pense que 50 mètres seraient suffisants. » - « Commandez donc à la batterie plus près de 50 mètres et je vais aller un peu plus à droite sous la trajectoire pour mieux observer. Vous venez avec moi ? » -« Je préfère rester ici car je voudrais prendre encore quelques clichés de cet emplacement particulièrement favorable ». Je transmets donc l’ordre à la batterie pendant que le capitaine se rend à son nouveau poste d’observation à 50 mètres plus à droite. Le commandement rapidement transmis est aussi rapidement exécuté. L’obus arrive bientôt en ronflant et tombe terriblement court. Il me semble du point où je suis qu’il est tombé dans la tranchée de première ligne qui est naturellement évacuée mais dans laquelle se trouve certainement le capitaine. Plein d’inquiétude je me précipite vers le point de chute lorsque je rencontre au bout de quelques pas le capitaine qui vient rapidement à ma rencontre, très pâle : « Je n’ai rien, Desaulle, mais venez vite ! L’obus est tombé sur un abri de fantassin et je crains qu’il y ait des malheurs ! » En deux bonds nous sommes au point de chute de l’obus qui est bien en plein sur un abri paraissant effondré tout au moins en partie. Aidé de quelques fantassins nous en dégageons l’entrée et parvenons à en extraire plus morts que vifs 3 malheureux fantassins horriblement pâles mais heureusement sans blessures, quoique passablement contusionnés. Grace à quelques gorgées d’eau de vie convenablement distribuée nous les remettons sur pieds mais l’émotion a été forte. Par bonheur l’obus est tombé sur le coin de l’abri et surtout il était muni d’une fusée instantanée éclatant au premier contact au sol. Il n’a donc pas eu le temps de pénétrer sans quoi les trois fantassins étaient aplatis ! Notre réglage terminé nous repassons par le poste de commandement du lieutenant Welschinger où nous taillons une petite bavette. Son sous-lieutenant est justement un ancien sergent du 82ème qui connait parfaitement Montargis et ses environs et en particulier Chatillon-Coligny. A peine sommes-nous là depuis quelques minutes qu’une terrible explosion se fait entendre. En un clin d’œil nous sommes dehors. « Mon lieutenant, dit un homme qui arrive en courant, c’est une mine qui vient de sauter en deuxième ligne dans la compagnie de droite. » Il règne en effet de ce côté une épouvantable fumée, mais le branle-bas de combat est d’ailleurs rapidement suspendu car, renseignement pris, le bruit que nous avons entendu vient de l’explosion d’une pièce de 58 et de ses munitions, pour une cause d’ailleurs inconnue. Bientôt en effet nous voyons revenir deux artilleurs sur des brancards assez grièvement blessés et un sous-officier qui a l’air fortement ébranlé. Nous passons rendre compte au commandant Meurs de notre mission. En arrivant au PC nous apercevons le commandant Meurs sur la porte, une goutte de sang au bout du nez : il est si drôle ainsi que nous ne pouvons contenir un éclat de rire. « Voyez donc Meckler comme ils m’ont arrangé ! » Un petit éclat d’obus ou un caillou lui a écorché en effet le bout du nez de la manière la plus cocasse. Après toutes ces émotions nous rentrons sans difficultés au cantonnement.
Toujours en prévision de l’attaque prochaine chaque division reçoit l’ordre de porter le plus en avant possible une pièce à longue portée pour tirer sur les cantonnements boches de l’arrière. La division de Vauquois pousse en avant une pièce de 100 de marine. Pour nous cette pièce sera un 155 long mis en position au sud des s Courtes Chausses sous le commandement de Chavane. Cette pièce doit tirer de nouveaux obus, nommés obus D, ressemblant absolument aux balles de fusils et permettant de réaliser une portée de 12 à 13 kilomètres.
24 septembre : Dans la matinée je vais jusqu’à la Louvière faire une petite promenade et à 11 heures je suis de retour au cantonnement. A 11h1/2 alors que nous allons nous mettre tranquillement à table j’entends tout à coup le sifflement caractéristique d’un obus de 150. Nous nous précipitons à la fenêtre : l’obus est tombé près de la Tuilerie. Un second arrive bientôt en plein dans le pignon de la maison puis un 3ème, jusqu’à huit, tous ces coups étant remarquablement groupés autour de la Tuilerie. Nous nous précipitons de ce côté car nous y avons plusieurs hommes et tous nos chevaux. Si parmi les premiers nous n’avons heureusement aucune perte à déplorer il n’en n’est malheureusement pas de même des seconds. 4 de nos meilleurs chevaux sont horriblement déchiquetés. D’autres chevaux ont été tués ou blessés au voisinage, mais par bonheur aucun homme n’a été blessé. L’adjudant Lemasson l’a cependant échappé belle. Comme il aidait quelques hommes à sortir les chevaux des écuries un obus tombé à 2 ou 3 mètres de lui l’a projeté à terre, complètement abasourdi. Il est obligé de s’aliter. Nous jugeons prudent en prévision d’une reprise probable du tir de déplacer nos chevaux et de les conduite au nord-est du village à la lisière du bois. Ceci fait nous examinons plus attentivement les dégâts.
Un obus est entré de plein fouet dans la maison principale de la Tuilerie démolissant mon ancienne chambre et en la visitant nous constatons une chose fort curieuse. Le plafond de la maison constitué par des poutres sur lesquelles sont cloués de part et d’autre deux planchers est absolument bourré d’avoine. Ce sont les innombrables rats de nos écuries qui, par un prélèvement sur la ration de nos chevaux ont constitué là une réserve de grains pour l’hiver. Il y a certainement plusieurs hectolitres de grains. Sur la toiture, pas une tuiles n’est intacte et beaucoup de vitres sont brisées mais à part cela et la mort de quelques chevaux les dégâts sont nuls.
25 septembre : Depuis quelques jours une activité anormale règne dans le secteur. En prévision de l’offensive prochaine, les échelons de batteries de 75 se sont rapprochés, prêtes à se porter en avant. Hier nous avons appris que l’offensive était pour aujourd’hui. En effet malgré le mauvais temps la canonnade est furieuse sur notre gauche : d’ailleurs un ordre du jour du général Joffre nous arrive annonçant l’offensive. D’après ce que nous savons, l’attaque se déclenche en Champagne sur un front de 25 kilomètres depuis Auberive sur la Suippes jusqu’à Ville sur Tourbe. Une autre action est menée sur la rive droite de l’Aisne jusqu’aux lisières de l’Argonne par la 128ème division. Une autre action déclenchée également au nord d’Arras par les Anglais et nous. Toute la journée nous vivons naturellement dans un état de fièvre inexprimable passant brusquement de l’espoir illimité à la même résignation. Les bruits les plus fantastiques commencent à circuler dans l’après-midi colportés par l’inévitable cycliste Larson. Nous aurions atteint la bifurcation de Challerange, un général allemand se serait suicidé, le nombre de prisonniers serait formidable. Un renseignement est cependant certain. Nous avons avancé notablement en Champagne et la percée aurait été faite du côté de Sommepy par une brigade de coloniaux.
26 septembre : Les nouvelles de la veille se précisent. Nous ne sommes ni à Vouziers ni même à Challerange mais nous avons cependant avancé de 3 kilomètres et fait 11 000 prisonniers ce qui est un succès. Dans l’après-midi je monte à la position prendre mon service de garde.
27 septembre : En prévision de quelque événement le capitaine monte de bonne heure à la position et comme nous ne savons trop que faire nous entamons avec Raynaud et son lieutenant une partie de bridge, malgré l’heure très matinale. Vers 8 heures les Boches commencent à tirer sur les lignes mais nous n’y prenons pas garde. A 8h30 cependant le tir devient plus intense et nous commençons à nous inquiéter. Le poste de commandement auquel nous téléphonons nous dit qu’il n’y a rien d’anormal. A 9 heures comme la canonnade fait rage, le capitaine demande à nouveau au poste de commandement s’il faut tirer. « Non, non, restez tranquilles ! » A 9h30 la canonnade est plus violente que jamais et l’odeur des obus lacrymogènes arrive jusqu’à nous : plus de doute : c’est une attaque de grand style. A notre gauche les obus tombent sur la Forestière. Certains, qui doivent être d’un calibre énorme paraissent ne pas éclater à moins que ce soit des obus de semi rupture éclatant profondément dans le sol. Tout à coup la sonnerie du téléphone retentir : c’et le poste de commandement qui nous appelle : « Allo ! Allo ! Préparez-vous à quitter votre position lorsque l’ordre vous sera donné ! » Le capitaine est furieux ! Comment ! Nous allons nous replier sans avoir tiré un coup de canon ! Ce serait ridicule aussi je me décide à tirer avec mes deux pièces sur les environs de la cote 285 où je suis si bien réglé& par mes tirs des jours précédents. Mes hommes qui commençaient à être inquiets de rester sans rien faire sont tout ragaillardis et se rendent gaiement à leurs postes. Nous tirons ainsi plus de 100 coups par pièce sans savoir au juste ce qui se passe, sinon que les Allemands ont attaqué sur la Fille Morte et la cote 285. A midi, un ordre : « Prenez vos dispositions pour partir ! » Nos chevaux et nos caissons sont immédiatement commandés mais le mouvement ne s’exécute pas. Un nouvel ordre nous arrive d’ailleurs à 22 heures : la 3ème batterie vient prendre notre place et nous retournons à la Chalade.
28 septembre : Dans la nuit la 3ème batterie vient nous relever et je constate sans étonnement que ses gradés sont pour le moins aussi empotés que ceux de la 2ème. Neuville laisse son petit lieutenant Simon se dépêtrer de cette mise en batterie nocturne et je suis obligé de prendre moi-même le commandement de la manœuvre pour obtenir un résultat. Les 4 pièces sont cependant en batterie au jour levant et pendant que ma section redescend à la Chalade je reste avec le capitaine Neuville pour le mettre au courant. Quelques nouvelles de la veille nous parviennent : les Allemands ont échoué sur la cote 285 grâce à la belle tenue du 4ème d’infanterie mais ont enlevé une partie de la Fille Morte de l’ouvrage 16.F à l’ouvrage M.12 soit un front de plus de 1000 mètres et une profondeur de 500. Le 91ème d’infanterie et le 82ème qui tenaient cette partie du secteur ont subi des pertes sensibles. Vers 11 heures nous essayons en vain un réglage. A 13 heures Goderman ??? me téléphone pour que j’aille régler le tir sur la région au nord de O.Q. qui est en la possession des Allemands. Je pars donc avec Simon pour la tranchée de seconde ligne située sur le flanc sud des Courtes Chausses où sont maintenant les blockhaus de la batterie de montagne. J’y rencontre le sous-lieutenant de Lagarde qui me montre mes objectifs. J’ai beaucoup de mal à régler d’abord parce que nos obus éclatent mal dans ce terrain très bouleversé et aussi parce que plusieurs batteries tirent en même temps. Je m’y prends de toutes les façons sans plus de succès. Pendant que nous réglons notre tir on amène un prisonnier boche. C’est un pionnier auquel un poilu promet une pipe de tabac s’il crie : « Vive la France ! »ce qu’il s’empresse de faire. A 16h40 notre réglage est enfin terminé et comme je sais que les tirs d’efficacité doivent commencer à 16h45 je conseille à Simon de filer au plus vite si nous ne voulons pas être pris sous les tirs boches de riposte. Depuis plus d’une demi d’ailleurs les Boches tirent dans notre coin et la situation est assez malsaine. A peine nous avons fait, Simon et moi, quelques pas sur le chemin du retour que les tirs d’efficacité déclenchent suivis immédiatement de la riposte boche très violente.. Les obus de 150 tombent autour de nous, heureusement que nous sommes dans le boyau sans quoi nous n’en mènerions pas large. Mais le boyau s’arrête sur le plateau et c’est maintenant à travers bois que nous devons rejoindre le carrefour de Rochamps. Les obus de tous genres, fusants et percutants, les balles de fusils même nous suivent avec une insistance vraiment déplacée. Au moment où nous arrivons à la Haute Chevauchée une rafle de 105 éclate derrière nous. Je me retourne et j’aperçois Simon allongé sur le nez. Je m’aperçois bientôt qu’il n’est pas blessé mais qu’il s’est simplement pris le pied dans une racine. Cette petite émotion sera la dernière de la journée car nous poursuivons notre chemin jusqu’à la batterie sans être inquiétés.
29 septembre : Depuis deux jours Lemasson est nommé sous-lieutenant et Fourcade adjudant. Ce dernier est remplacé dans ses fonctions de chef par Emerit qui est lui-même remplacé dans ses fonctions de chef de pièce par Voyer nommé sous-officier. Après les rudes journées d’hier et d’avant-hier j’espérais pouvoir me reposer aujourd’hui mais dans la matinée le capitaine est convoqué au poste de commandement de l’artillerie pour un tir à exécuter dans la région de F.16 – Doigt de Gant – 12.M. Pour l’exécution de ce réglage nous partons donc le capitaine Fourcade et moi accompagnés de Nadiras par la Chalade, le nouveau Cottage, les blockhaus de la Montagne et le poste O.3. Les boches ont l’air assez agités. Au poste O.3., beaucoup de monde en ligne nous nous informons de la situation : elle est assez calme pour l’instant mais il n’en était pas de même avant-hier. La compagnie du lieutenant Welschinger en liaison par sa gauche avec le 91ème d’infanterie a eu 107 hommes hors de combat ! Le lieutenant Welschinger est blessé, peu gravement à ce que l’on espère, mais son sous-lieutenant est tué. Quelques batteries ont également souffert. La batterie de mon camarade Maxime Lerousseau, la 12ème du 45ème en position au sud de Courtes Chausses a beaucoup souffert : le capitaine Brianchon (Note de l’éditeur : mort de ses blessures le 27 septembre au Grand Triage de la Chalade) et le lieutenant Dumoulin (Note de l’éditeur : mort de ses blessures le 28 septembre aux Islettes) sont ués ainsi que plusieurs hommes. La pièce de Chavane a été elle aussi passablement marmitée mais heureusement sans dommage. Par le boyau des Meurissons nous atteignons la tranchée de 1ère ligne occupée par la 1ère compagnie du 91ème sous le commandement du lieutenant Fauvel, un gaillard qui n’a pas l’air commode. Lorsque nous arrivons il parait être dans une colère violente. En quelques mots il nous donne les raisons de son indignation et commence par nous raconter les événements de l’avant-veille. Les Allemands ont attaqué comme nous l’avons su sur tout le front de la Fille Morte. La compagnie du 91ème occupant le saillant vers l’ancien Doigt de Gant a disparu entièrement. La compagnie Fauvel a eu 80 hommes hors de combat. « Sans doute nous avons reculé, me dit le lieutenant, mais les Boches ont perdu un monde fou. Mes hommes et moi tirant par-dessus le parapet en avons démoli un grand nombre et de mon côté l’avance des Boches a été faible. Si j’avais eu sous la main seulement ½ compagnie j’aurais contre attaqué mais je n’avais personne. J’ai demandé d’urgence au commandement de m’envoyer des renforts en lui expliquant ce que j’allais faire. Il m’a envoyé l’adjudant de bataillon et 4 cyclistes ! Dans la soirée la compagnie à ma droite a essayé de contre attaquer. Voyant le commandant de cette compagnie, vêtu d’un caoutchouc prendre ses dispositions pour franchir le parapet je lui crie : « ne sors pas comme cela tu vas te faire descendre ! – Il n’y a pas de danger ! » En fait à peine avait-il mis le pied sur le parapet qu’une balle le renversait raide mort au fond de la tranchée. Juste à ce moment passent deux brancardiers du 82ème : je leur donne l’ordre de ramasser le corps du lieutenant et de le conduire à l’arrière mais les salauds se sont cavalés ! C’est pourquoi vous me voyez encore si en colère. Je les fais rechercher partout pour leur flanquer une volée moi-même » De la tranchée de première ligne on voit assez bien l’objectif que nous devons battre et que nous connaissons d’ailleurs bien pour y être allés souvent, mais pour régler notre tir le poste téléphonique le plus proche est O.3. et nous n’avons pas de fil pour nous raccorder. Personne n’en possède dans le voisinage aussi le capitaine se décide à envoyer Fourcade et Nadiras au cantonnement pour chercher du fil et surtout quelques aliments car nous n’avons rien mangé et il est midi. A 13 heures cependant par le moyen d’agents de liaison qui font la navette entre le poste téléphonique et le poste d’observation nous amorçons un autre réglage mais cette manière de faire est dangereuse, le boyau des Meurissons insuffisamment profond étant vu de tous côtés des lignes ennemies et pris d’enfilade. De plus vers 14h30 les Boches nous envoient à bout portant plusieurs bordées d’obus de 37, ce qui nous oblige à chercher un asile dans le trou habité par Fauvel. Nous commençons à être morts de faim et Fauvel, voyant notre dénuement, nous offre généreusement un morceau de pain et de fromage que nous acceptons de grand cœur, bien honteux cependant de demander l’aumône aux fantassins qui sont absolument privés de ressources. Enfin notre fil téléphonique étant arrivé nous continuons notre réglage avec assez de difficultés car les Boches deviennent de plus en plus agressifs. A peine sommes-nous redescendus au poste O.3. notre tir terminé que les Boches augmentent l’intensité de leur tir. Les obus tombent maintenant dans le ravin et comme la cadence dépasse 15 coups à la minute il ne faut pas songer un seul instant à mettre le nez dehors. Enfin à 16h30 comme le jour commence à baisser nous nous décidons à partir par le boyau malgré que le tir de l’artillerie ennemie soit encore très intense. Filant comme des zèbres nous grimpons de toute vitesse de nos jambes le boyau en escalier qui, escaladant le flanc sud des Courtes Chausses, se dirige vers le Nouveau Cottage pendant que les obus éclatant de toutes parts nous couvrent de poussière et nous assourdissent. Enfin nous arrivons sains et saufs au Nouveau Cottage mais complètement essoufflés par cette course désordonnée. Du poste O.9. au Nouveau Cottage il n’y a pas plus de 500 mètres mais ce trajet m’a semblé interminable. Nous croyons être au bout de nos émotions mais il n’en est rien car jusqu’à la Chalade les obus nous font cortège. L’un d’entre eux vient se ficher en terre à 20 mètres devant la tête de nos chevaux. Au poste de commandement nous rendons compte au colonel Rollet de notre mission et à 18h30 nous sommes au Claon croyant pour cette fois en avoir fini jusqu’à demain. Mais hélas ! À peine finissons nous de dîner qu’un ordre téléphonique appelle le capitaine Meckler au poste de R.G. A 22 heures il est de retour avec une nouvelle bien peu agréable. Il faut que nous réoccupions ce soit avec deux pièces la position de la Louvière à la place de la 3ème batterie qui s’en va. Comme je suis très éreinté Dumay part à minuit à ma place avec la section.


























