Capitaine Pierre DESAULLE
Mémoires de guerre 14/18
1er mars : Le matin à mon réveil on me communique une bien triste nouvelle : le sous lieutenant Leroy commandant la batterie de mortier de 220 de la Maison Forestière et par conséquent sous mes ordres a été tué hier après-midi dans la tranchée de première ligne, d’une balle au ventre. C’était un charmant garçon dont la mort nous cause une grande tristesse. Ava nt le déjeuner je vais au P.C.A. pour avoir des renseignements sur l’affaire de la veille : le colonel Rollet s’y trouve justement et m’adresse tous ces compliments car l’affaire a fort bien marché. L’entonnoir est repris et l’essentiel est que nous n’avons que deux blessés.
2 mars : Le séjour au Claon devenant peu sur je vais le matin aux Islettes demander au colonel Rollet l’autorisation de changer mes pénates. Je ne trouve d’ailleurs pas le colonel, mais seulement le capitaine Grévy par lequel j’apprends que Clermont a été violemment bombardé hier ainsi que la Thiboudette. La Tuilerie est incendiée. Les boches se sont aperçus, heureusement un peu tard que tous les renforts destinés à alimenter la bataille de Verdun arrivaient par la voie ferrée Les Islettes Clermont et par la route qui lui est parallèle. Depuis huit jours il est passé sur ces deux voies des effectifs importants et les tirs des allemands ne nous gênent plus beaucoup maintenant que le moment critique est passé à Verdun. Les premiers jours de l’attaque ont été terriblement angoissants lorsque les allemands eurent submergés nos premières lignes malgré l’héroïsme des chasseurs à pied du colonel Driand au bois des Caures.

Les deux bataillons de chasseurs tiennent tète pendant deux jours à un ennemi 10 fois supérieur en nombre sous un bombardement formidable. Obligés de se replier ils luttent encore pas à pas et dans ces derniers combats le vaillant colonel Driand est tué à la tète de ses troupes.
Ayant déjeuné aux Islettes avec Lemasson et Teinturier j’assiste à l’église à l’enterrement d’un lieutenant du 131ème tué la veille à l’ouvrage 16K. A 17h45 je suis de retour au Claon. Le village n’a pas été bombardé aujourd’hui mais juste au moment où j’arrive les boches tirent sur la maison isolée à mi chemin de la position de batterie. Vers 18 heures je monte à la position de batterie et juste à ce moment, une pièce à longue portée dont les coups de départ résonnent comme une cloche commence à tirer de la droite. Les obus passent au dessus de nous en sifflant et semblent tomber du côté des Islettes. Les coups se succèdent ensuite de deux minutes en deux minutes jusqu’à 19h15. Vers 19 heures on nous signale un Zeppelin que nos projecteurs cherchent d’ailleurs dans le ciel sans le moindre succès.
3 mars : Tous ces jours ci la situation dans le secteur est assez agitée et nous tirons chaque jour 20 à 30 coups. Cette nuit en particulier on nous fait envoyer 15 coups entre minuit et une heure sur les abris Bismarck où l’on signale une relève. Dans l’après midi alors que je suis aux Islettes les allemands tirent sur le village avec leur pièce à longue portée. Ce tir ne cause d’ailleurs aucun dégât.

Carte début mars 1916
4 mars : Dans la nuit les boches continuent leur tir sur les Islettes mais cette fois ils ont la bonne hausse car ils tapent en plein dans le centre du village qui se met à flamber. Dans la matinée le tir continue aussi je reçois l’ordre de déménager mon échelon et de le transporter aux Sénades.
Je pars donc dans l’après-midi pour les Islettes pendant que Dumay s’en va faire un réglage du côté des Trois Ravins. Lorsque j’arrive aux Islettes, les boches tirent encore sur la partie est du village, malgré cela nous pouvons déménager rapidement et nous installer aux Sénades tant mal que bien. Le cantonnement extrêmement petit est fort misérable. Il n’y a en somme dans ce hameau que la verrerie et le château du propriétaire, Monsieur de Grandrut qui est en même temps le maire des Islettes. Les maisons du hameau sont fort peu confortables. Heureusement mes chevaux trouvent dans les hangars de la Verrerie un excellent abri. Notre Naturellement le bombardement a jeté le plus grand trouble dans la population civile des Islettes. Au premier coup de canon tombant sur le village tous les habitants ont filé dans les bois et à leur retour les mercantis ont eu la désagréable surprise de trouver leurs boutiques entièrement pillées par les soldats. Tout ce qui a échappé au pillage a été vendu à vil prix. Une boite de papier à lettres de 50 feuilles se vend 25 centimes, les poulets six francs la pièce, le Saint Emilion 15 sous la bouteille, des mouchoirs à 3 sous et des cochons moyens à 20 francs ! Le résultat est que toute la division est dans les « vignes du Seigneur ». Les scènes les plus comiques sont celles offertes par les séparations déchirantes des demi ménages qui se sont établis depuis 19 mois entre les poilus et les femmes du village. Ma batterie étant installée aux Sénades je rentre vers 17h30 à la batterie. Au moment où j’arrive la canonnade est extrêmement vive sur la Fille Morte.
6 mars : Le matin nous nous réveillons dans la neige. D’un certain côté j’en suis heureux car cela va gêner les allemands dans leur attaque sur Verdun. D’un autre côté je vais être bien gêné moi aussi dans mes travaux. Depuis plusieurs jours en effet j’ai établi un gigantesque programme de travaux dans ma position. Le premier point est d’éviter l’envahissement par l’eau en captant les eaux qui descendent des hauteurs situées derrière nous. A cet effet je commence la construction enveloppant toute notre position. Ce boyau d’une longueur de plus de 400 mètres a par endroits 2,50 m de profondeur. Ce sera l’artère principale de notre batterie et il servira en même temps pour l’écoulement des eaux et pour la circulation. La partie basse du boyau est entièrement creusée sous l’argile et nous éprouvons pour son exécution des difficultés très grandes. Il est impossible en effet de creuser plus de 1 mètre à la fois dans cette argile fluente et nous devons l’étayer au moyen de cadres faits de troncs de sapins fendus en deux, l’intervalle entre ces cadres étant rempli par des petits rondins de 3 à 4 centimètres de diamètre. Cette partie du boyau ayant une centaine de mètres de longueur ce sont des milliers de petits rondins que nous devons couper. Heureusement le vallon de Perrupt en amont du point où nous sommes est extrêmement garni de taillis. Parallèlement à la construction de ce boyau j’entreprends la construction d’abris à munitions desservis par ce même boyau. Ces abris qui seront au nombre de 4 et constitueront la réserve général de munitions de la batterie sont constitués chacun par six grands tôles cintrées ondulées recouvertes d’une double couche de rondins de 30 à 40 cm de diamètre et d’un fort remblai de terre. Chacun de ces abris doit pouvoir contenir 300 obus et autant de douilles. La difficulté pour la construction de ces abris est que la ferraille, d’un volume de plus de 30m3, doit être exécutée dans une journée. Nous creusons en effet dans une argile foisonnant énormément et dans laquelle la verticalité des parois ne se maintient pas longtemps. Mes hommes s’intéressent énormément à ces travaux et piochent de bon cœur. C’est d’ailleurs un excellent dérivatif à leur oisiveté relative de ces jours derniers. Dans la journée cependant nous tirons une trentaine de coups sur 12M réglés par Dumay pendant que le génie fait sauter une tranchée allemande au Golf Est. Les allemands réagissent assez violemment. L’opération réussit d’ailleurs normalement et nous faisons même un prisonnier.
7 mars : L’attaque allemande continue sur Verdun et s’étend maintenant à la rive gauche de la Meuse. Forges est maintenant entre les mains des allemands. La batterie Achard qui était devant nous quitte le secteur. Notre stock de munitions continue à s’augmenter et aujourd’hui je reçois 450 obus.

8 mars : Les allemands continuent leurs succès sur Verdun et s’emparent de Fresnes en Woëvre. Notre artillerie a par contre abattu un avion boche au dessus de Avocourt.
9 mars : Les allemands continuent sans doute leur effort sur la rive droite de la Meuse car toute la nuit et toute la journée la canonnade a retenti à droite avec une intensité très grande. Depuis quelques jours d’ailleurs nous sortons de notre silence : les batteries de 75 du secteur tirent chacune 1200 à 1300 coups par jour, l’artillerie de tranchée est également fort active. Mes pièces de 95 tirent environ 200 coups chaque jour. Quant au 155 court dont les munitions sont beaucoup plus chères, chaque batterie doit se contenter de 15 à 20 coups par jour mais cela suffit à montrer aux allemands que nous n’avons pas dégarni cette partie de notre front.
10 mars : La neige continue à tomber et les boches continuent à être hargneux. Le Claon reçoit encore aujourd’hui quelques obus de 77 dont un tombe dans notre écurie. Nos chevaux n’échappent que par miracle. L’extension de l’attaque allemande sur la rive gauche de la Meuse remplit d’inquiétude le commandement du 5ème CA. Dans la journée m’arrive une note fulminante du colonel Lepidi que nous avons surnommé « le lapin blanc » et qui commande l’artillerie du C.A.. Cette note pleine d’excellents conseils et de renseignements précieux contient aussi des critiques à l’adresse des commandants de batteries qui n’ont pas poussé avec assez d’activités la mise en état de défense de leurs positions. Or pour mettre en état les positions il faut des matériaux, tôles, rondins etc… Depuis des semaines malgré mes plus pressantes réclamations je n’ai rien reçu. La note du colonel Lepidi m’ayant fait monter la moutarde au nez je saisis ma bonne plume et rédige un rapport de 4 pages plutôt sévère et qui expose l’impossibilité dans laquelle je me trouve de faire quelque chose avec rien dans le terrain où je suis. Mon rapport se terminait d’ailleurs d’une manière impertinente par cette observation qu’avant de formuler des critiques à l’adresse des commandants de batteries, il serait préférable de leur fournir de quoi continuer les travaux qu’ils ont entrepris de leur propre initiative sans ordre du commandement. Mon petit rapport ne tarde pas à produire ses effets car le lendemain matin je reçois un important matériel, trop important même car j’en ai bien pour quinze jours à le mettre en œuvre. Je reçois aussi 320 obus pour compléter mes approvisionnements.
12 mars : Encore 150 obus aujourd’hui. Décidément les boches peuvent venir, ils seront bien reçus. Quant à moi, comme le séjour au Claon devient tout à fait malsain je me décide à transporter mes pénates dans la cagna laissée libre au dessus de la position par le départ de la batterie Achard.
13 mars : Pour donner aux boches une idée des moyens dont nous disposons dans le secteur une concentration de feu est décidée pour aujourd’hui à laquelle doit participer les batteries de mon groupement plus l’artillerie de campagne et les crapouillots. On me confie le réglage des batteries du secteur. Je pars donc à 11h45 avec Dumay et Lacheret après être allé au P.C.A. chercher des ordres. Comme nous partons de la position de batterie un obus de 105 tiré contre un avion tombe à une dizaine de mètres derrière nous et à moins de 1 mètre d’une pile d’obus. Arrivés sans encombre dans la tranchée de première ligne qui borde le flanc sud du Ravin Intermédiaire, nous avons devant nous toutes les lignes allemandes du versant nord sur lesquelles doit être exécuté notre tir. A gauche notre tranchée de première ligne. A gauche notre tranchée de première ligne après être descendue dans le fond du Ravin remonte sur l’extrémité du plateau qui nous fait face. Je commence par régler le 95 du Claon ce qui a lieu sans incident sauf un coup assez court. Je passer ensuite à la batterie Froidevaux dont le réglage sur la partie droite de la zone à battre s’effectue normalement. Il n’en est malheureusement de même pour le réglage sur la partie gauche. Le premier coup tombe en effet à l’intérieur de nos lignes. Je fais porter immédiatement le tir à 100 mètres à droite et le coup tiré avec ces éléments tombe à 30 mètres devant un petit poste français. Je fais donc porter le tir encore à 50 mètres à droite mais à ma grande surprise ce coup tombe encore plus à gauche que le premier sur le boyau menant au petit poste. N’y comprenant absolument rien, je fais porter résolument le tir à droite de 150 mètres et j’achève mon réglage sans encombre. Les allemands agacés sans doute par mon réglage commencent à réagir en nous envoyant pas mal de 77 et de 105. Un caporal du 72ème qui passe près de moi n’a pas fait 50 mètres dans le boyau qu’il se fait tuer. Je règle ensuite sans encombre la batterie de 85 de la Fontaine Ferdinand puis le tir d’efficacité commence. Pour l’observer nous montons Dumay, Lacheret et moi sur la banquette de tir et regardons par-dessus le parapet. Les tranchées allemandes étant à 300 mètres, nous ne risquons rien. D’ailleurs sous cette avalanche de mitraille, les boches doivent être en ce moment au fond de leurs sapes. Il y a aussi sur le parapet le lieutenant René des crapouillots, frère d’un de mes anciens camarades du régiment et plusieurs officiers d’infanterie. Nous contemplons donc le tir d’efficacité qui se déroule normalement lorsque tout à coup j’entends un ronflement d’obus plus puissant que les autres. Je n’ai pas le temps de m’aplatir sur le parapet que l’obus, un allongé de 155, tombe à quelques mètres du parapet, nous couvrant de terre. Par bonheur personne n’est blessé mais c’est un miracle. Si l’obus avait été plus court de 5 ou 6 mètres aucun de nous n’en réchappait ! Comme d’autres obus du même genre peuvent retomber nous jugeons bon , mes camarades et moi, de nous abriter dans une sape. Enfin à 16h30 le tir d’efficacité terminé nous prenons le chemin du retour, passablement fatigués bien que la journée n’ait pas été trop longue. Comme nous arrivons au Chalet un de nos avions attaqué au dessus de nous par deux boches est atteint et abandonne le combat. Sur la route je rencontre heureusement le lieutenant Bouché de l’aviation de l’armée qui nous ramène en auto à la batterie.
14 mars : Aujourd’hui à déjeuner nous fêtons la pendaison de crémaillère dans notre nouvel abri avec l’abbé Gailhouste et Lemasson. Cet abri mesure environ 2,50 mètres de largeur, 10 mètres de longueur et 2,50 mètres de hauteur. A chaque bout, deux lits superposés ; au milieu une vaste baie encadrée par deux poutres. Comme la cagna est construite à flanc de coteau nous avons, en avant, une fort belle terrasse à laquelle on accède par un escalier monumental.
J’apprends en même temps que le capitaine Bizot ancien commandant de la première colonne légère du groupe et détaché à l’état-major de l’armée prend le commandement de la batterie. Bien que le capitaine Bizot soit un charmant camarade cette nouvelle m’ennuie un peu mais heureusement j’apprends par une lettre reçue le soir que cette prise de commandement est purement fictive attendu qu’il conserve ses fonctions actuelles et par conséquent moi les miennes.
16 mars : Je dois faire aujourd’hui une reconnaissance dans le secteur de gauche occupé par le 72ème d’infanterie au sujet d’un tir demandé par le commandant de ce secteur. Je pars donc à 12h45 avec Dumay et Lacheret pour le Centre 6. Comme nous descendons vers la Chalade, les boches tirent sur le village : nous passons cependant sans encombre. Comme nous arrivons aux Sapins les boches tirent encore derrière nous et sur la Chalade. Au poste du Chalet nous trouvons le commandement du 72ème une vieille baderne sortant de la gendarmerie. C’est lui qui a demandé le tir : il nous conduit donc en première ligne en passant par le poste de commandement de l’Isba. Vers ce point alors que nous sommes en terrain découvert les boches nous saluent d’une dizaine de minen dont les éclats passent en sifflant autour de nous. Je constate que la vieille baderne n’a pas peur. Des premières lignes nous examinons l’objectif probable qui est l’ouvrage F.3 sur lequel nous avons déjà tiré ces jours ci : « Voyez cette tranchée qui est en bas, me dit le commandant, les boches y travaillent activement et je voudrais que vous tiriez dessus pour les obliger à remonter dans la tranchée qui est en haut. Quand ils seront dans la tranchée qui est en haut vous reporterez ce tir sur ce point ». Je pense que cette tactique savante a pour but de faire redescendre les boches dans la tranchée du bas d’où un nouveau tir pourrait les rechasser dans la tranchée du haut et ainsi de suite jusqu’à ce que, épuisés par ces galopades ils se rendent à merci à moins qu’ils ne préfèrent mourir d’une maladie de cœur. Ce fantassin est vraiment d’une naïveté sans borne. Je ne veux pas lui faire de peine et le laisse dire mais le rapport que je vais faire à mon retour est nettement défavorable : ma conclusion est que le tir demandé est parfaitement inutile.
Le soir nous recevons du général commandant en chef l’ordre du jour suivant : "Soldats de l’armée de Verdun ! Depuis 3 semaines vous subissez le plus formidable assaut que l’ennemi ait encore tenté contre nous. L’Allemagne escomptait le succès de cet effort qu’elle croyait irrésistible et auquel elle avait consacré ses meilleures troupes et sa plus puissante artillerie. Elle espérait que la prise de Verdun raffermirait le courage de ses alliés et convaincrait les pays neutres de la supériorité allemande. Elle avait compté sans vous. Mais, ce jour, malgré un bombardement sans précédent vous avez résisté à toutes les attaques et maintenu vos positions. La lutte n’est pas encore terminée car les allemands ont besoin d’une victoire. Vous saurez la leur arracher. Nous avons des munitions en abondance et de nombreuses réserves. Mais comme vous avez surtout votre indomptable courage et votre foi dans les destinées de la République. Le pays a les yeux fixés sur vous. Vous serez de ceux dont on dira : ils ont barré la route aux allemands la route de Verdun." De ces éloges les troupes de notre secteur et nous en particulier ne méritent qu’une faible part puisque nous n’avons pas été attaqués mais seulement inquiétés. Il n’est pas douteux cependant que si l’attaque allemande avait réussi elle se serait étendue jusqu‘à nous. Il n’est pas douteux non plus qu’en cette occurrence le 5ème CA aurait fait son devoir comme les autres. Suivant la parole du général en chef la bataille pour Verdun n’est pas terminée mais cependant le danger est passé. Un seul fort, Douaumont, est entre les mains des allemands mais nous n’en sommes pas loin. La Woëvre a été abandonnée mais nous tenons toujours le fort de Vaux. Il faut convenir que dans les derniers jours de février la situation a été plutôt critique. L’évacuation de la rive droite de la Meuse avait été prévue et l’ordre en avait été donné par le général de Langle de Cary commandant le G.A.C. au général Herr commandant l’armée de Verdun. Heureusement l’exécution de l’ordre fut suspendue par le général de Castelnau. Le général Herr et le général de Langle de Cary furent relevés de leur commandement. Le premier fut remplacé par le général Pétain, le second par le général de Castelnau.

Carte mi mars 1916
17 mars : Vers 7 heures du matin les boches commencent à tirer vers la source située le long du Chemin des Romains puis de 10 heures à 11 heures ils nous envoient une vingtaine de 150 fusants qui éclatent au dessus de nous avec un bruit terrible. Ces obus étant très dangereux je fais abriter tout le monde. Dans l’après-midi le tir reprend et dure jusqu’à 18 heures. 200 coups sont ainsi tirés dans notre voisinage sans produire de dégâts. A la batterie de Pazzis en face de nous deux chevaux sont blessés.
18 mars : Les allemands, toujours hargneux, tirent encore beaucoup de notre côté sans nous faire d’ailleurs aucun mal. Dans la matinée un grave accident à la 10ème batterie du 45ème en position derrière nous. Une pièce saute, tuant 2 hommes et en blessant un.
19 mars : La batterie de Pazzis du 107ème R.A.L. en batterie devant nous et toujours sous les ordres du capitaine Cornillon nous quitte pour une destination inconnue. Avant de nous quitter elle reçoit l’ordre d’exécuter un tir de 200 coups. Ce tir est presque terminé lorsqu’un grave accident arrive à l’une des pièces : un obus allongé éclate à la bouche de la pièce, causant d’énormes dégâts : un homme est tué et 2 autres grièvement blessés.
20 mars : La batterie de Pazzis est remplacée par une batterie de 155C. Mle 1912 venant de Verdun et, à l’occasion de ce remplacement, je reçois l’ordre de ramener à ma position toutes les munitions laissées par la batterie de Pazzis. Cet ordre se justifie pour les charges puisque le 155C Rimailho emploie des douilles et le 155C 1912 des gargousses mais pour les obus l’ordre est stupide puisque les deux canons emploient les mêmes munitions. Je fais part de cela au colonel Rollet qui me prie de m’entendre avec le colonel O’Neill de l’A.D. de gauche et possesseur des munitions. Le capitaine adjoint et le colonel lui-même paraissent tomber des nues lorsque je leur explique pourquoi il est inutile d’effectuer le déménagement des munitions qu’on veut m’imposer. Ils ignorent l’un et l’autre que tous les canons de 155 emploient les mêmes projectiles. J’arrive cependant à les convaincre mais ce n’est pas sans peine. J’en suis d’autant plus heureux que l’accès à la position de Pazzis est presque impossible et qu’il fait un temps épouvantable. Mais le plus heureux en la circonstance est le lieutenant Tissier commandant la batterie de 155 C Mle 1912. Le pauvre garçon qui ne possède que des tracteurs aurait été obligé de grimper ses munitions depuis la route à dos d’homme ! Apprenant ce que je viens de faire pour lui il vient me remercier avec effusion. Naturellement je prends à ma position les 250 obus apportés par la batterie Tissier.
22 mars : Aujourd’hui arrivage de 525 obus ce qui porte notre approvisionnement à près de 3000 coups ou 150 tonnes. Les boches peuvent venir !
Depuis le départ di capitaine Cavillon je commande à nouveau l’A.L. du secteur et me voila redevenu le « fac totum » de ma division et même celui de la division voisine.
25 mars : Les attaques sur Verdun ne sont pas terminées, loin de là. La batterie d’Ainval en position dans la foret de Hesse a été assez malmenée ces jours ci : 3 canons sont démolis et le lieutenant Rouyer blessé assez gravement à la tète. Gadet part pour le remplacer : je reste donc seul avec Dumay et Lemasson.
Au lever du jour le 72ème effectue un coup de main sur les tranchées allemandes de F.3, coup de main parfaitement réussi qui permet de tuer 10 boches et d’en ramener 5. Une autre attaque du même genre sur Vauquois permet de ramener 30 prisonniers. Une 3ème tentative sur le plateau de Bolante est éventée et ne donne aucun résultat. Ces coups de sonde sont destinés à tâter les intentions des boches.
28 mars : Depuis 3 jours le temps est absolument horrible et mes travaux deviennent tout à fait impossibles car tout est détrempé : autant sculpter dans du fromage à la crème que de piocher dans cette argile mouvante. Ce qui me console c’est que les travaux déjà entrepris se comportent assez bien sous cette avalanche. Hier nous avons fait un petit tir sur la tranchée d’Eckmühl, aujourd’hui c’est au tour de l’ouvrage Durer de recevoir sa ration. Notre artillerie est toujours fort active.
30 mars : Aujourd’hui nouvelle ration pour l’ouvrage Durer dont les boches nous remercient en nous envoyant quelques obus en plein dans la position. 2 coups sont particulièrement bien placés : un sur notre poste téléphonique et un sur un abri à munitions. Heureusement que les obus sont mauvais et que nos abris sont bons. Le matin Dumay s’en va aux tranchées pour nous régler dans le Faux Ravins.

31 mars : Les boches sont de plus en plus agités. Ils continuent à tirer sur les Islettes et le matin mettent le feu à in train de munitions arrêté en gare. Nous entendons distinctement de la position les éclatements des wagons. Le soir c’est le tour de Florent dont un quartier prend feu.