Capitaine Pierre DESAULLE
Mémoires de guerre 14/18


Vauquois, le terrible village autour duquel les combats les plus sanglants se livrèrent jusqu’au milieu de l’année 1916 et qui ne fut jamais pris complètement ni par les allemands ni pas nous est une agglomération d’une centaine d’habitants juchée sur un plateau long de 400 mètres et large de 200 et qui, à la cote 290, domine de plus de 130 mètres la vallée de l’Aire et la plaine environnante. Ce plateau presque inaccessible sauf par le sud-ouest est flanqué au nord-ouest par la cote boisée 225 dont un ravin la sépare, au nord-est par le bois de Cheppy, au sud-est par la hauteur de la Cigalerie enfin vers le sud-ouest se détache de Vauquois comme un appendice la cote 252 qui vient mourir sur le mamelon de Buzémont. La Maize et la Cigalerie forment bien au sud-est une base de départ permettant d’attaquer Vauquois mais le bois de Cheppy est un terrible flanquement et empêche toute progression de ce côté. Au sud-ouest Buzémont forme une bonne base de départ permettant d’atteindre la cote 252 mais de là on se trouve exposé au feu des hauteurs de la rive gauche de l’Aire, cote 207 cote 286 et surtout cote 263, qui seront le cimetière du 113ème et du 131ème comme Vauquois sera le cimetière de la 10ème DI. Autour de ces deux positions, Vauquois et cote 263, les combats les plus affreux se livreront pendant tout le printemps de 1915sans amener aucune solution. A partir des premiers jours d’octobre on peut dire que le front est stabilisé devant nous. Le front allemand passe par les lisières sud de Boureuilles, englobe la cote 252 et le bois en équerre, les fermes de la Cigalerie et de la Hardonnerie suit la vallée de la Buante jusqu’à la corne sud du bois de Cheppy et longe la route d’Avocourt jusqu’au village de ce nom qui est en notre possession. Le front français englobe la ferme de Buzémont, la Maize, les hauteurs de la Cigalerie, les lisières de la forêt de Hesse et le village d’Avocourt.
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3 octobre : Les deux journées précédentes se passent au cantonnement et nous en profitons pour remettre un peu d’ordre dans la batterie et reconstituer les attelages avec nos chevaux de renfort. Le 3 à 5 heures du matin la 1ère batterie quitte le cantonnement et se rend par Auzéville et Vraincourt à Aubreville : nous prenons en ce point la route d’Avocourt pour aller occuper une position à l’est de la cote 290, l’échelon se plaçant dans le petit bois situé le long de la route au pied de la cote 290. A 10 heures la batterie tire quelques coups sur la ferme de la Hardonnerie où nous cantonnions quelques jours auparavant. A 11h15 une batterie étant signalée en action à 600 mètres au nord-est de Vauquois nous la contrebattons. A 13 heures c’est le tour de la ferme de la Cigalerie. A 14h30 un aviateur et son observateur viennent signaler une batterie au coin du bois à 200 mètres au nord de la cote 230, un peu au sud du Moulin du Pré de l’Orfèvre. Après entente avec les aviateurs le tir sur cette batterie est décidé pour 16h15 et ne commence d’ailleurs qu’à 16h30 sans l’assistance des aviateurs que nous voyons s’élever et se diriger sur Verdun. Ce sera notre première tentative de réglage par avion. A 16h40 une section porte son tir sur la Hardonnerie et les abords où les avant-postes ont signalé des rassemblements et des tranchées. Nous tirons ainsi 92 coups de canon sans que les allemands répondent autrement que par des coups espacés d’heure en heure tombant entre la cote 290 et Aubreville Vers 17 heures nous reprenons la direction de Rarécourt lorsque, arrivant à Vraincourt, nous entendons derrière nous des obus qui tombent assez nombreux sur Aubreville probablement.
D’après les renseignements qui nous ont été fournis dans la journée le 5ème CA occuperait le front depuis la Chalade jusqu’à Buzémont et le 15ème CA depuis Buzémont jusqu’au camp retranché de Verdun au nord-est d’Avocourt.
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4 octobre : La matinée se passe dans le plus grand calme au cantonnement et je pense qu’il va en être de même pour l’après midi lorsqu’à 11 heures m’arrive un ordre du colonel de partir en reconnaissance entre la Chalade et Boureuilles pour y rechercher des positions de batteries. Pour cette reconnaissance il me faut quelqu’un pour m’accompagner et ne sachant qui prendre le capitaine me conseille d’emmener un brigadier nommé Bachelier arrivé il y a deux jours avec un renfort de chevaux. Ce brigadier âgé de 30 ou 32 ans a l’air fort dégourdi et je le fais comparaître immédiatement pour lui demander si il a des armes : « oui mon lieutenant, j’ai un revolver et il est chargé ; j’ai aussi un sabre que j’ai affûté dans le train et qui coupe très bien ! »Bon, me dis-je, en voilà un qui est prêt « à en découdre » si nous rencontrons du boche. M’étant assuré moi-même du bon état de mes armes je pars vers 11h30 avec mon brigadier et comme il a l’air intelligent et distingué je lui demande de chevaucher botte à botte avec moi et nous causons. Il me raconte sa vie. Sous-officier de dragons il a été cassé de son grade et remis simple cavalier, à cause de sa vie dissipée. Renomm2 brigadier pour une belle action accomplie au cours des grandes manœuvres, on le classe dans l’artillerie pour ses périodes de réserve. La déclaration de guerre le trouve au Pérou où il voyage pour le compte d’une importante maison nord-américaine. Après beaucoup de difficultés il parvient à revenir en France, à ses frais naturellement. Il parle couramment anglais, espagnol et allemand et comme depuis plusieurs années il ne parle que ces langues il a complètement oublié le français et cherche ses mots en parlant. A une question que je lui pose i lui arrive même de me répondre : « si signor !» En cheminant ainsi assez paisiblement nous dépassons Clermont en Argonne et atteignons les Islettes. Tout le long de la vallée qui forme le défilé des Islettes des troupes sont échelonnées. Des territoriaux fraîchement arrivés creusent des tranchées. Après le village de Claon nous dépassons à gauche de la route une batterie de 75 absolument invisible. Plus loin, à droite c’est une batterie de 120 court qui se met à tirer juste comme nous passons. Bientôt nous sommes à la Chalade où se fait la liaison entre le 5ème CA et le 2ème CA qui occupe la partie ouest de l’Argonne et qui appartient à la 4ème armée commandée par le général Langle de Cary. Le village est actuellement occupé par le 87ème d’infanterie et de l’artillerie de montagne qui arrive dans le secteur. Afin d’obtenir quelques renseignements je me rends au château où se trouve l’état-major du régiment. Ce château et l’église du village qui y est attenante sont les restes d’une abbaye de cisterciens autrefois très florissante. Le château est habité maintenant par des descendants de ces fameux « gentilshommes verriers » qui reçurent autrefois du roi Henri III et de ses successeurs l’autorisation de se livrer à l’industrie et au commerce sans déroger. De toutes ces verreries, une seule subsiste, celle des Sénades près des Islettes, dirigée encore actuellement par un descendant de ces antiques familles. Les autres verreries ont maintenant complètement disparu et il n’en reste plus que le souvenir sous forme de noms de villages ou de hameau : la Verrerie, le Four de Paris, le Neufour. Le château est assez modeste mais l’église a vraiment fort grand air.
Le capitaine adjoint au colonel commandant le 87ème d’infanterie me donne sur la situation quelques renseignements. Nos troupes occupent le pavillon Saint Hubert, le hameau du Four de Paris dont nos avant-postes sont distants de 800 mètres environ sur la route de Varennes. Sur le plateau de Bolante la situation est assez confuse car les allemands et nous, occupons ce plateau aux taillis impénétrables. Nous occupons également les crêtes du Bas-Jardinet et une partie de la cote 263. Le bois est si épais et les repères si rares que les troupes en ligne ne peuvent même pas indiquer leur situation exacte. Devant le château il y a un cimetière militaire qui contient déjà les corps nombreux des victimes des derniers combats. Continuant ma reconnaissance je reconnais le chemin, d’ailleurs impraticable aux voitures, qui monte à la cote 223. Le versant du vallon le long duquel grimpe le chemin a été il y a quelques jours le théâtre d’un sanglant combat où un régiment allemand fur presque anéanti. Ce régiment parti des futaies de Bolante devait s’emparer de la Chalade et de fait il en était arrivé assez près. Un de nos régiments venant de l’est par une habile manœuvre en suivant la crête des Courtes Chausses attaqua les allemands de flanc et leur fit subir des pertes considérables. Le terrain du combat est encore jonché de débris de toutes sortes, casques et havresacs allemands et aussi quelques équipements de soldats français, des chasseurs à pied principalement. Le chemin qui suit le fond du vallon est praticable et m’amène à une position de batterie possible au bas de la crête du Grand Triage. Ayant reconnu cette position je continue mon chemin vers le carrefour de la Pierre Croisée au milieu d’un bois absolument impénétrable. Sur notre gauche la fusillade crépite toute proche et des obus allemands passent au-dessus de nous pour aller éclater sur notre droite dans le bois du Grand Triage. Tout à coup mon cheval fait un brusque écart : le cadavre d’un soldat allemand est étendu en travers du chemin. Arrivé au carrefour de la Pierre Croisée je rencontre le colonel commandant le 131ème d’infanterie qui commande provisoirement la brigade et auquel je demande des renseignements sur les positions. Il me confirme ce que j’ai appris à la Chalade par le capitaine du 87ème et me dit aussi que son objectif est la croisée de la Haute Chevauchée, mais qu’il ne peut avancer tant que le 2ème corps n’aura pas lui-même progressé du Four de Paris vers Varennes. Je vois que les allemands n’ont pas perdu tout espoir de s’emparer de la route de la vallée de la Biesme puisqu’ils se cramponnent dans la poche que forment leurs lignes vers le Four de Paris. La cote 285qui est devant nous pourrait à la rigueur recevoir des pièces d’artillerie mais elle est vraiment trop près des lignes. Je demande alors au colonel si le front est assez stabilisé pour qu’on puisse occuper des positions avancées sans trop de risques. Il me répond que des infiltrations de troupes allemandes se produisent bien dans l’épaisseur des fourrés mais que ces infiltrations ne sont pas très dangereuses. Quelques jours auparavant un parti de 30 allemands qui avait franchi nos lignes par mégarde s’est rendu à 3 de nos brancardiers ! Ces infiltrations se produisent surtout par le ravin des Meurissons et par celui des Courtes Chausses qui sont extrêmement encaissés. Toute cette partie de la forêt d’Argonne est d’ailleurs superbe, d’une beauté farouche et je comprends que des écrivains comme André Theuriet se soient tant plus à la décrire dans des romans comme « le refuge » dont l’action se déroule dans le village de la Chalade, et dans ces futaies de la Chalade et de la Haute Chevauchée que nous venons de traverser. Comme je continue à parler avec le colonel la fusillade crépite devant nous à quelques centaines de mètres : on nous amène près de nous un pauvre fantassin atteint d’une balle dans la tête et qui râle lamentablement. Ma mission terminée je me dispose à rentrer par le chemin des Romains et la maison forestière du Four des Moins près de laquelle je rencontre un dessinateur de mon bureau, un nommé Marbach, brigadier dans un échelon de 120 court. Pour rentrer à Clermont je me décide à prendre la tranchée qui descend sur le hameau de Lochères, chemin extrêmement pittoresque mais peu praticable, même à cheval et nous manquons de nous y rompre les os. Des arbres énormes abattus en travers du chemin empêchent d’ailleurs de passer en plusieurs endroits. Enfin par le chemin de la ferme Soiron je finis par atteindre Clermont. Pendant cette dernière partie du trajet une assez grande activité d’artillerie règne dans le secteur de Neuvilly. Rentré à Rarécourt il me faut encore rédiger au colonel un rapport écrit sur ma reconnaissance avant de songer au repas dont j’ai pourtant besoin après une si longue randonnée. Mon repas sera d’ailleurs bref car on vient nous aviser dans la soirée que nous devons être en position à 7 heures à l’est de la ferme Bertrametz pour préparer une attaque sur Vauquois.
![]() La ChaladeL'église, le père Bailly et ses infirmiers | ![]() La ChaladeL'intérieur de l'église | ![]() La ChaladeLe chœur de l'église |
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![]() La ChaladeL'entrée du village | ![]() La ChaladeLe couvent et l'église | ![]() La ChaladeLa pause pendant le combat |
![]() 1er abri enterréLtn Desaulle Can Boisard et Desmons |
5 octobre : A 2h45 du matin, branle-bas de combat et à 4 heures du matin, toute la batterie est rassemblée au parc attendant le départ qui s’effectue à 4 h30 par un petit brouillard glacial. En arrivant à notre position nous mettons nos canons en batterie dans le vallon à l’est de la ferme Bertrametz et les dissimulons de notre mieux de manière à leur donner l’aspect de pacifiques bosquets : l’échelon se place comme ces jours derniers dans le petit bois au bord de la route. Cette ferme de Bertrametz est une humble métairie complètement ruinée sauf une pièce dans laquelle s’entasse les fermiers. Nous sommes installés depuis quelques instants lorsque je m’entends interpeller. Je me retourne et suis fort surpris de voir arriver le capitaine Anniber, ancien commandant de la 3ème batterie, commandant à la mobilisation le dépôt du 3ème et qui vient de prendre le commandement du groupe. Son arrivée me console un peu du départ du commandant Grouhard.
Les heures passent sans que nous ne voyions rien ni n’entendions rien. Cependant vers midi ayant mis le nez (manière de parler) j’aperçois à quelques centaines de mètres un troupeau de vaches broutant dans l’herbe de la prairie ! Immédiatement une idée lumineuse me vient. J’envoie nos 2 ordonnances chercher du lait de ces pacifiques ruminants que je crois abandonnés à leur triste sort, mais hélas ! à peine ont-ils pu traire dans leurs bidons la valeur de deux quarts que le légitime propriétaire, le fermier de Bertrametz, intervient véhémentement et malgré l’offre qui lui est faite de le payer il traite nos ordonnances de prussiens, de bandits et autres aménités. Cependant le demi-litre de lait déjà trait ne rebrousse pas chemin et nous est apporté. Un feu de bois est rapidement allumé et, grâce à la Compagnie Coloniale, je confectionne un chocolat merveilleux à en pleurer d’attendrissement ! Chavane juge indispensable de fixer sur la gélatine cette scène mémorable. Ma part de chocolat ne représente même pas la valeur d’un verre et je mets cependant plus d’un quart d’heure à l’avaler. Si j’avais pu couper les gorgées en dis je crois que je l’aurais fait.
Notre gourmandise qui peut prêter à rire a une excuse : c’est que nous ne sommes pas trop gâtés sur le rapport du superflu et des douceurs. C’est en campagne que se vérifie cette parole profonde que le superflu est plus nécessaire que le nécessaire. Aujourd’hui j’ai mangé un morceau de beurre gros comme une noisette et qui me parait délicieux. Voilà deux mois que je n’en ai gouté. Hier on m’a fait cadeau de deux petits beurres. Dans mon ordre d’idée, je n’ai pas retiré mes chaussures depuis 15 jours et je ne me suis pas déshabillé pour dormir depuis le 21 août.
Puisque les allemands nous laissent tranquilles pour aujourd’hui nous continuons nos mondanités en allant prendre le thé vers 16 heures dans le gourbi de feuillage où s’est installé noter médecin major. Chacun puise avec son quart dans une vaste gamelle où mijote le thé. Rumpelmeyer où es-tu ? (NOTE DE L’ÉDITEUR : confiseur autrichien qui a créé le salon de thé « Angelina » en 1903 rue de Rivoli voisin de l’hôtel Meurice). A 18 heures alors que la nuit est presque complètement tombée nous sommes prévenus qu’il faudra probablement passer la nuit sur la position. Je prends donc mes dispositions en conséquence en construisant, aidé de Chavane une espèce de tente sous laquelle nous nous étendons. Bientôt d’ailleurs arrive un ordre de rentrer à Rarecourt, ce dont nous ne sommes pas fâchés car la pluie commence à tomber. Nous ramenons avec nous un énorme cochon que nous avons trouvé dans le bois criant, une patte cassée. Après l’avoir tué et saigné sur place nous l’attachons sur une voiture pour le ramener au cantonnement et améliorer l’ordinaire.
![]() La pausePendant le combat | ![]() Dégustation du chocolat |
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6 octobre : Rien de nouveau pour nous dans la matinée aussi je peux dormir assez longtemps dans mon lit ou plutôt sur mon lit puisqu’il ne se compose que d’un sommier. Le vétérinaire que je rencontre dans le cantonnement dès mon lever m’annonce que mon fameux cochon n’est pas comestible, sa chair étant fiévreuse, et qu’il va le faire enterrer. Cette nouvelle me cause une vive déception. La 2ème et 3ème batterie sont parties dès le matin occuper les positions de la veille. Quant à nous un ordre arrive dans l’après-midi d’aller cantonner à Vraincourt où nous arrivons vers 16 heures. Notre installation dans ce nouveau village est assez confortable. Une brave dame du pays dont nous avons su nous attirer les bonnes grâces, met à notre disposition sa maison, habitée d’ailleurs depuis plus de 2 mois par des troupes soit françaises, soit allemandes et mise de ce fait dans un assez piteux état. Les portes et les meubles ont été emportés dans les tranchées pour servir de protection contre les éclats d’obus. On s’est battu en effet au début du mois de septembre devant Vraincourt et Rarecourt pendant que notre armée combattait plus au sud. Les troupes de la place de Verdun ont en effet constamment fait sentir leur action dans le flanc gauche de l’armée ennemie. Nous avons pu cependant remettre dans la dite maison un ordre relatif.

L’une des pièces sert de chambre à coucher pour Plantade, Chavanne et moi c'est-à-dire que nous en avons garni la moitié avec de la paille sur laquelle nous nous étendons le soir tout habillés comme nous en avons pris l’habitude depuis de longues semaines. Une autre pièce sert de salle à manger et de chambre à coucher pour le capitaine. Enfin une cuisine est également à notre disposition. Tous ces locaux sont à notre arrivée comme une véritable écurie d’Augias et bien qu’aucun d’entre nous ne ressemble à Hercule, cet humble logis est rendu confortable. Nous sommes arrivés à avoir de la vaisselle et réinstallons un poêle pour chauffer nos deux pièces. Les ordonnances s’occupent des soins du ménage et nous avons un excellent cuisinier dans la personne de Bocher, l’ordonnance de Chavanne. Il nous régale le premier jour de notre arrivée d'un excellent gâteau dont il a recueilli la recette au Maroc où il a fait campagne.
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7 octobre : Les deux batteries qui ont laissé leurs pièces sur le terrain y retournent le matin. Lz 1ère batterie reste au cantonnement et j’en profite pour assister à la messe dans la petite église de Vraincourt par un prêtre soldat et rien n’est plus curieux que de voir le pantalon rouge de ce dernier passer sous ses vêtements sacerdotaux. Vraincourt est un hameau d’une centaine d’habitants dépendant de Clermont et qui ne possède rien d’intéressant, ni la petite église ni le banal château appartenant au comte d’Anthouard, ministre plénipotentiaire. A 9 heures du matin on m’envoie à la gare de Clermont en Argonne chercher du matériel et je vois arriver un bataillon de renfort pour le 31ème d’infanterie. Je remarque avec peine que tous ces hommes sont des territoriaux ayant dépassé 35 ans.
Le temps continue à être fort beau et de temps à autres nous montons sur la hauteur à mi-chemin de Clermont pour voir l’effet du tir de notre artillerie. On distingue en effet d’une façon parfaite Vauquois et Montfaucon sur lesquels nous tirons d’ailleurs faiblement. Nous avons cependant d’assez nombreuses pièces en batterie : 120 court, 120 long et 95 fournies par les réserves de la place de Verdun. Toute la journée un avion allemand nous survole avec insolence. Le soir selon leur coutume les allemands tirent sur Aubreville ce qui fait déménager en hâte notre colonel. Nous apprenons le soir une grave défaite des allemands à Augustowo à la frontière de la Prusse Orientale. Par contre en France la situation reste stationnaire et nous avons du même, sur plusieurs points, abandonner du terrain.

Carte au 7 octobre
![]() VraincourtLe ltn Carnet devant l'église | ![]() VraincourtChavane | ![]() VraincourtZaeppfel, Chavane et Plantade |
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![]() VraincourtLa vallée de l'Aire | ![]() VraincourtLa vallée de l'Aire, à l'horizon Clermont |
8-9 octobre : Ces deux journées se passent pour moi dans le calme le plus complet, car je reste au cantonnement pour me reposer bien que je n’en aie pas absolument besoin. La plupart de nos hommes font de même, mais cela ne leur va pas beaucoup car pour nous artilleurs qui dit repos dit corvée et le soldat français n’aime pas cela. Mais par contre quand il s’agit vraiment de faire œuvre d’artilleur il n’y a pas de « tire au flanc ». Grâce à ce repos nous pouvons mieux soigner notre alimentation. Voici par exemple le menu d’un de nos derniers déjeuners : soupe grasse, bœuf braisé au riz, pommes de terre à l’anglaise, poires glacées au kirsch, grillades beurrées, café et pousse café, mais comme boisson nous sommes toujours condamnés au thé !
10 octobre : Le capitaine Armibert ???? m’ayant demandé comme adjoint je pars avec la batterie à 5 heures du matin et à 6h30 nous sommes en batterie aux positions voisines de la ferme Bertrametz , 6 pièces sont en batterie dans le vallon à l’est de la ferme, 2 autres pièces sont mises en position à 800 mètres au nord-ouest au pied de la crête boisée. Les batteries sont maintenant reliées téléphoniquement entre elles, avec Vraincourt où se trouve le colonel, avec le Rendez-vous de chasse de la forêt de Hesse où se trouve la division, avec un observatoire situé à la cote 290 sud. Vers 7h30 nous recevons un soutien d’infanterie commandé par un adjudant appartenant au 15ème CA auquel nous sommes rattachés. Notre position est en effet assez avancée puisqu’il n’y a guère que 2500 mètres entre nous et les premières lignes qui sont d’ailleurs fort rudimentaires.
Vers 10 heures le colonel donne l’ordre au commandant du groupe d’envoyer un officier à l’observatoire de la Cigalerie. Désigné par le commandant je pars aussitôt muni d’un repas frugal. Je m’arrête en passant au Rendez-vous de chasse pour me renseigner auprès du capitaine Pivier de l’artillerie à pied et, de là, en suivant le layon forestier je me dirige vers le poste de commandement des chasseurs alpins situé au sud de la Fontaine de la Gaille. L’installation du campement où j’arrive est vraiment curieuse et l’ingéniosité de nos soldats s’est donné libre cours. Sans aucune ressource, simplement avec des branches d’arbres et de la terre battue ils ont construit des cabanes presque confortables et qui, presque toutes, préservent un caractère très original. Je me présente au commandant du bataillon qui me reçoit fort aimablement et m’invite à déjeuner. Comme j’ai un repas froid dans mon sac je suis tenté de refuser mais cette initiative est refoulée immédiatement à la vue des plats si appétissants qu’apporte le cuistot du commandant. De fait le menu est somptueux : potage aux pâtes, riz au lard, bœuf bouilli pommes à l’anglaise, sauce tomate, poires cuites et petits fours et ceci en plein bois à 1000 mètres des boches ! Lesté de ce bon déjeuner je pars vers le poste de la Cigalerie conduit par un chasseur alpin aux pieds agiles qui me mène d’un train d’enfer que je suis obligé de modérer. Ces montagnards sont vraiment des marcheurs étonnants dans les pays accidentés. Le chemin que nous suivons l’est particulièrement et malgré la faible distance du poste de la Cigalerie je mets 45 bonnes minutes pour l’atteindre. Les boches sont d’ailleurs bien sages et ne tirent pas mais il ne doit pas toujours en être ainsi car les trous de marmites sont assez nombreux sur notre chemin. Un sentier étroit nous conduit enfin au sommet du plateau de la Cigalerie où se trouve le poste téléphonique occupé par 3 observateurs très dégourdis appartenant au 5ème régiment d’artillerie à pied. Le poste téléphonique se compose d’un trou d’un mètre carré de surface sur 50 cm de profondeur creusé au point culminant de la crête. En avant le long de la crête militaire sont creusé quelques éléments de tranchée de quelques mètres, non réunis entre eux et occupés par les chasseurs alpins. La pente dominant la ferme de la Hardonnerie est abrupte. Malgré que la crête soit encore très boisée on a de ce point une vue superbe et très étendue : Vauquois sur la gauche est à portée de la main et à la même hauteur que nous. A nos pieds la ferme de la Hardonnerie, la route Varennes – Avocourt, le moulin du pré Saint Martin. Plus loin encore les villages de Cheppy, Baulny, Charpentry, Eclifontaine ?????? et la grand’ route. A droite les bois de Cheppy et d’Avoccourt dominés par la butte énorme de Montfaucon. Plus à droite encore le village d’Avocourt. Sur la route d’Avocourt au nord de la ferme de la Hardonnerie on voit nettement les tranchées allemandes. La crête où nous sommes a été pendant plusieurs jours aux deux partis en présence, les allemands l’occupant la nuit et nous le jour. Un beau soir nous y sommes restés, heureusement d’ailleurs car cette position constitue pour nous un excellent observatoire sur les lignes allemandes. La hauteur de la Maize située à notre gauche est également occupée par nous, mais les allemands occupent à nos pieds la ferme de la Cigalerie. Armé de ma jumelle j’examine le panorama en suivant les indications des observateurs lorsque les allemands de Vauquois, qui nous ont aperçus déclenchent le feu d’une mitrailleuse. Je n’ai que le temps de me jeter à plat ventre : les balles crépitent autour de nous, claquant dans les arbres, ou ricochent sur les cailloux avec des miaulements bizarres. Le temps me semble infiniment long et cependant il ne faut qu’une minute pour vider les 250 cartouches d’une bande de mitrailleuse allemande. Enfin le tir s’arrête et nous poussons un soupir de soulagement. Nous continuons immédiatement l’examen attentif du panorama et effectuons quelques tirs pour une batterie de 120 court et une batterie de 95 qui se trouvent derrière nous. De l’observatoire on aperçoit distinctement la route de Marle et le coude qu’elle fait pour entrer dans Varennes. Justement sur cette route nous apercevons venant vers nous une colonne de voitures. Au moment où elle arrive au coude nous lui envoyons une salve de 95 malheureusement un peu courte. Elle est assez près cependant pour jeter le désarroi dans la colonne et pour l’obliger à faire demi-tour dans le plus grand désordre. Une seconde salve plus longue causerait certainement des pertes sensibles mais les communications téléphoniques sont si précaires que le déclenchement de cette seconde salve demanderait plusieurs minutes. Dans le triangle au sud de la forêt de Cheppy nous apercevons aussi des mouvements de voitures sur lesquelles tire le 95. Vers 14h30 une batterie de notre groupe tire à 1000 mètres au nord du moulin du Pré de l’Orfèvre dans une région où des obusiers ont été signalés. Les coups paraissent assez bien groupés mais on ne peut juger de l’effet. Il y a d’ailleurs en plusieurs points du panorama des mouvements de troupes ou d’isolés 3 officiers accompagnés d’un planton, tout quatre à cheval, se dirigent au pas vers nous, venant de Varennes sur la route d’Avocourt. Ils s’arrêtent à la hauteur de la tranchée allemande qui coupe la route d’Avocourt à 800 mètres de nous. L’un des officiers se penchant de son cheval parle pendant Quelques minutes aux gens de la tranchée. J’ai grande envie de leur envoyer un coup de fusil mais il parait que les ordres sont formels et qu’on ne doit pas tirer. Peu de temps après un officier monté sur un cheval blanc vient se promener, toujours au pas sur le chemin de la Hardonnerie et repart de la même façon. Quel dommage de ne pouvoir envoyer à celui-là le moindre coup de fusil ! Vers 16 heures j’aperçois une patrouille allemande au bas de la crête et je la signale immédiatement aux alpin qui se précipitent à leurs poste de combat mais cette alerte n’a pas de suite. Enfin à 17 heures alors que la nuit est presque venue je redescends et, pour ne pas me perdre dans le dédale des bois, je suis obligé de la main le fil téléphonique qui court sous les arbres. Sans encombre je rentre à Vraincourt assez fatigué.
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11 octobre : Levé à 4h30 je repars à 5h15 avec le capitaine Annibert et les batteries. Dès qu’elles sont en position le capitaine m’emmène au Rendez-Vous de Chasse où le général de division a son poste de commandement. Rien de particulier n’est prévu pour la journée et cependant je reçois l’ordre de remonter à la Cigalerie. Avant il m’est possible d’assister à une messe en plein air célébré par un aumônier militaire sur un autel de campagne.
Au poste de commandement des chasseurs alpins je ne retrouve pas le même commandant que la veille, le bataillon ayant été relevé dans la nuit. A l’observatoire je rencontre les mêmes observateurs que la veille et nous nous mettons immédiatement au travail. Il nous faut tout d’abord bouleverser cette tranchée qui coupe la route d’Avocourt. Les premiers coups tirés à 10h30 par la batterie sont un peu à gauche de la tranchée mais à bonne distance. Je déplace mon tir à droite et les coups tombent en plein dans la tranchée faisant voler en éclats un abri situé près de la route. Le tir est parfaitement groupé et déclenché avec une grande rapidité malheureusement un coup anormal tombe à notre droite, trop court de plus de 1000 mètres. Inquiet pour les sentinelles avancées qui sont de ce côté je me porte vers le point de chute accompagné d’un lieutenant de chasseurs alpins vraiment très crâne et comme nous pouvons faire de mauvaises rencontres chacun de nous emporte un mousqueton. L’obus qui a éclaté dans les arbres a fait des dégâts considérables mais personne n’est blessé. Le pied d’un arbre derrière lequel est embusqué un chasseur a été fortement sectionné par un éclat qui s’est perdu en terre. Pour regagner notre poste il nous faut franchir à nouveau les fils de fer, cat il y a déjà des réseaux de fils de fer. Après avoir déjeuné assez frugalement je continue à examiner le terrain avec le lieutenant de chasseurs alpins lorsqu’une nouvelle rafale de mitrailleuses nous couche à terre et, comme hier, les balles crépitent de tous côtés. Couchés à plat ventre sur la crête nous n’en menons pas large pendant que se déroule cette avalanche. Enfin tout se calme et nous pouvons nous relever mais les arbres autour de nous sont criblés de balles.
Dans l’après-midi un capitaine du 55ème vient exécuter un repérage de terrain. Par quelques coups il règle sur le Moulin du Pré de l’Orfèvre. En suivant avec attention le tir à la jumelle j’aperçois dans le pré derrière le moulin une troupe allemande au repos et faisant de la soupe. Je vois nettement à travers les arbres la fumée des feux qui s’élève. Je distingue même un soldat boche debout devant son feu et surveillant son rata les mains derrière le dos. Je signale cet objectif intéressant au capitaine mais comme il est très myope il prétend ne rien voir et ne veut d’ailleurs pas tirer sans ordre supérieur car les munitions sont rares. Cependant après beaucoup d’insistance je le décide à déclencher sur cet objectif un tir de quelques salves. La première salve tirée avec un correcteur non réglé éclate trop haut. La seconde est à meilleure hauteur et les allemands commencent à s’inquiéter. Lorsque la troisième salve arrive, un peu mieux placée que les deux autres, l’exode des boches a déjà commencé vers le Moulin du Pré Saint Martin. Etant donné la lenteur des communications téléphoniques les salves sont à 5 minutes au moins les unes des autres. Les allemands quittent le moulin du Pré l’Orfèvre avec une si grande hâte que la 4ème salve n’y rencontrerait plus personne aussi nous nous décidons à interrompre le feu pour voir les allemands vont se rassembler. J’en compte environ 50 ou 60 qui se dirigent vers le moulin du Pré Saint Martin en emportant leurs marmites. Au bout de quelques minutes lorsque nous jugeons que tous les boches sont entassés dans le dernier moulin, la batterie ouvre le feu dessus à obus explosifs. Les coups tombent avec précision dans le moulin dont nous n’apercevons guère que les toits et le verger. Alors c’est une fuite éperdue de tous les habitants dont le nombre est grossi par celui des réfugiés du pré l’Orfèvre. Il doit y avoir dans le verger des chevaux à la corde car nous en voyons un grand nombre se sauver de tous côtés. Plusieurs boches tenant chacun deux chevaux par la bride fuient à toutes jambes dans le ravin qui mène à la Neuve Gange ????? . Le tir ayant été allongé une salve tombe en avant des fuyards et leur coupe la retraite. Les hommes s’aplatissent au sol, les chevaux libérés se cabrent et s’enfuient dans tous les sens, le désarroi est complet mais étant donné la dispersion des hommes qui se sauvent de tous côtés il faut interrompre le tir. Si les munitions n’étaient pas si mesurées et si les communications téléphoniques n’étaient pas si précaires nous aurions pu faire aux allemands un mal énorme. Le tir est à peine terminé sur cet objectif qu’un autre se présente à nos feux. Un bataillon allemand se dirige vers Cheppy en colonne par 4 et va bientôt atteindre ce dernier village. Nous alertons une batterie de 95 mais malheureusement nous ne pouvons pas tirer car les communications téléphoniques fonctionnent trop mal. Le bataillon entre dans Cheppy, tourne dans la rue de l’église qui se dirige vers nous et disparaît dans le vallon. Un autre bataillon venant de la route Charapentry se déploie à travers champs puis disparaît lui aussi dans un vallon : il est d’ailleurs hors de portée.
Vers 16 heures je reçois un message me prévenant d’avoir à reconnaître certaines tranchées sur la cote 282 qu’on ne voit d’ailleurs pas du point où je suis. Je cherche donc à me porter plus à l’ouest mais comme je ne connais pas très bien la région et comme il est possible qu’on me prenne pour un espion je me fais accompagner par un sergent de chasseurs alpins. D’ailleurs pour aller où je vais il vaut mieux ne pas être seul. La crête de la Cigalerie est bien occupée par les chasseurs et celle de la Maize aussi mais entre les deux i l y a un kilomètre de bois impénétrables dans lesquels il n’y a personne que des patrouilles françaises et boches qui s’y promènent de temps à autres. Armés chacun d’un mousqueton nous partons le sergent et moi en suivant la crête. Plusieurs tombes y sont creusées depuis les derniers combats et plusieurs cadavres gisent encore non ensevelis. Avec une prudence de trappeurs nous arrivons jusqu’aux sentinelles doubles, à plat ventre derrières leurs sacs et qui nous font signe de ne pas faire de bruit les allemands étant tout près. Malheureusement le bois est si touffu au point où je suis que je ne vois absolument rien. Le seul moyen pour voir quelque chose est de grimper sur un arbre ce que je m’empresse de faire avec l’aide des chasseurs qui me hissent jusqu’aux premières branches à la force de leurs bras, débarrassé de mon attirail afin d’être plus léger je m’aperçois lorsque je suis arrivé avec beaucoup de difficultés en haut de mon arbre, que j’ai laissé ma jumelle en bas. Il va falloir redescendre lorsque je découvre dans ma poche un assez long morceau de ficelle que je rallonge avec mon ceinturon et par une mimique j’explique aux chasseurs restés en bas d’avoir à attacher au bout de tout cela ma jumelle. Muni de cette jumelle j’examine avec soin la cote 262 sans y découvrir la moindre tranchée. Je rentre donc au poste d’observation sans autre incident. La nuit commence à tomber lorsque je reprends le chemin de Vraincourt où j’arrive à 19 heures.
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12 octobre : A 5 heures du matin je repars encore dans les mêmes conditions mais cette fois avec Candlot qui doit prendre le service à ma place à la Cigalerie. Nous ne sommes pas de trop en effet à la batterie car le capitaine qui n’était pas très bien depuis le début du mois est maintenant tout à fait mal. La fièvre ne le quitte pas et il ne peut bouger de son lit : Plantade le remplace donc dans le commandement de la batterie. Je dois conduire Candlot à la Cigalerie pour le mettre au courant du service d’observation. Le temps continue à être fort beau et je ne me lasse pas d’admirer le magnifique spectacle qui s’offre chaque jour à nos yeux à l’heure du lever du soleil. Les bois prennent chaque jour des tons de plus en plus variés. Toutes les gammes des ors et des verts y sont représentées et sur ces couleurs vives les rayons du soleil levant jettent un éclat incomparable. Les couchers du soleil sont également fort beaux mais plus sombre, il y a en eux de la gravité et presque de la tristesse. Les levers de soleil sont au contraire d’une gaieté sans égale.
Comme nous arrivons Candlot et moi au Rendez-vous de chasse nous entendons dans la direction de la Cigalerie une violente canonnade je pense que les allemands veulent se venger aujourd’hui du mal que nous leur avons fait hier, en bombardant la crête qu’ils supposent être notre observatoire. Arrivé au poste des chasseurs, occupé par le commandant du 27ème bataillon, j’y retrouve un capitaine et un capitaine d’artillerie venus sur place pour étudier la défense de la Cigalerie. Lorsque j’arrive enfin à la Cigalerie c’est pour la trouver dans le plus piteux état. C’est sur elle que les boches tiraient il y a une heure et nous voyons les effets de leur tir. Les arbres sont tous plus ou moins déchiquetés. 5 chasseurs alpins ont été blessés mais les autres n’ont pas quitté leurs postes. Après avoir pris sur place nos dispositions pour construire un observatoire blindé et donné à Candlot quelques indications sur le panorama je reprends à 10 heures le chemin de la batterie. Toute la journée les batteries tirent sur la région de Vauquois mais n’ayant pour ma part rien à faire je retourne aux nouvelles du côté du Rendez-vous de chasse. Le capitaine Pivier me fait cadeau d’un paquet de journaux que j’emporte comme un trésor. Je les parcours en revenant à ma batterie et vois avec peine la nouvelle de la mort du comte Alfred de Mun. Encore une grande figure française qui disparaît avant d’avoir connu la victoire complète.
A 16h30 nous reprenons le chemin du cantonnement.
![]() VraincourtL'arrivée du vaguemestre; Beaulin, Chavane et Moreau | ![]() VraincourtLe ltn Desaulle lit le journal | ![]() VraincourtLe parc à l'heure du "jus" |
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![]() VraincourtL'arrivée du vaguemestre; Plantade, Bocher, Desaulle et le cne Meckler | ![]() VraincourtLtn Chavane |
13 octobre : Toute cette journée se passe pour moi au cantonnement et je n’(en suis pas fâché car je commence par être fatigué par ces petites excursions à la Cigalerie. Sur mon lit de paille je dors comme un bienheureux et, chose avantageuse, je ne perds pas un instant ni pour me lever ni pour me coucher puisque je dors tout habillé sans même enlever mes éperons. Je continue pour ma part à me porter comme le Pont Neuf mais il n’en est pas de même pour le personnel de la batterie. Nous avons énormément de malades et chaque le jour il faut en évacuer. A ce régime notre effectif diminue sensiblement. En ce qui me concerne grâce à mon alimentation j’arrive à résister parfaitement à la fatigue et au froid.
14 octobre : Le capitaine restant toujours au cantonnement je pars à 5h15 avec Plantade qui prend le commandement de la section du bois alors que je prends celui des 2 pièces de Bertrametz. Toute la journée nous restons dans nos gourbis sans tirer et sans rien faire. Le matin cependant à 8 heures nous avons une bien vive émotion : à droite en avant de nous une musique militaire joue la Marseillaise et le Marche de Sambre et Meuse. En souvenir de la grande émotion du 12 septembre chacun se demande ce qui se passe. Nous devions apprendre bientôt qu’il ne se passait rien d’extraordinaire mais simplement une cérémonie dans un régiment. Dans la soirée le bruit court que nos troupe seraient maîtresses d’Etain et de Saint Mihiel. Vers 17 heures nous reprenons le chemin du cantonnement.
15 octobre : A 5h15 nous repartons dans les mêmes conditions que la veille. Vers 8 heures comme hier nous entendons une musique militaire jouant la Marseillaise et Sambre et Meuse, mais cette fois nous n’en ressentons aucune émotion. Dans la journée la batterie tire une quarantaine de coups sans que les allemands répondent et le soir à 16h30 nous repartons pour Vraincourt. En y arrivant nous apprenons la prise d’Anvers par les allemands et la mort du roi de Roumanie.
16 octobre : Le capitaine qui est toujours gravement malade et ne quitte pas son lit reçoit dans la journée une lettre de condoléances de sa sœur pour la mort de sa femme. Ce pauvre capitaine qui ne sait rien est terriblement frappé par cette triste nouvelle apprise dans ces conditions. Il aurait dû être prévenu par Teinturier qui a reçu une lettre par le même courrier et qui vient nous voir le soir.
17 octobre : Plantade et Chavane partent à la position de batterie quant à moi je reste au cantonnement ce qui me permet d’assister à la messe dite pour le repos de l’âme de madame Meckler. Le soir à 16 heures je pars prendre la garde à la position de batterie. Depuis quelques jours en effet nous laissons nos canons en place avec une garde d’un officier, d’un sous-officier et de 9 hommes. Naturellement nous devons coucher dehors puisqu’il n’y a pas d’abri qu’une petite hutte en branches ouverte de tous côtés. J’ai d’ailleurs trouvé un bon moyen pour ne pas avoir froid : après avoir mis mon manteau je me fourre dans un sac à avoine contenant un peu de paille et pour que le dit sac ne se sauve pas je me l’attache sous les aisselles avec mon ceinturon de revolver. Je rabats ensuite sur mes mains les revers des manches de mon manteau et sur mes oreilles les bords de mon calot et je m’étends sur un brancard. Malgré que la pluie tombe, que la fusillade fasse rage devant nous et que des animaux de toutes sortes galopent tout autour de moi je ne tarde pas à m’endormir. Dans la journée la batterie a effectué plusieurs tirs assez réussis en particulier sur une batterie de 77 dont les servants fuient dans leurs abris. Les batteries tirent aussi sur un observatoire au sud de Vauquois et sur les tranchées au S.O. de la cote 253. Le général commandant la 29ème DI fait savoir que le résultat que cherchait la 29ème DI a été atteint grâce notamment au tir des batteries de 155.
18 octobre : A 4h45 je suis debout. A 6 heures les batteries arrivent. La journée, comme la précédente, se passe dans le plus grand calme et nous ne tirons qu’une vingtaine de coups de canon sur une maison de Vauquois que nous n’arrivons d’ailleurs pas à démolir. A 14h30 le général de division nous ayant demandé de ne plus tirer pour ne pas gêner la relève des troupes nous en profitons pour partir à 16h30.
19 octobre : Toute la journée je reste au cantonnement et j’en profite pour me promener un peu. Le hameau où nous sommes n’a subi pour ainsi dire aucune destruction mais il a été bien entendu pillé en règle comme tous les villages qui n’ont pas été incendiés. Les boches doivent avoir d’ailleurs, à la suite de leurs convois réguliers, d’autres convois pour le transport du butin de guerre car il ne reste pas grand choses. Tout près du village il y a une usine élévatoire pour assurer l’alimentation en eau de la ville de Clermont. Les allemands ont emporté non seulement tout l’outillage de l’usine mais ils ont aussi dévalisé le logement du mécanicien malgré la présence de ce dernier. Tout le linge, même le linge de femme, les layettes et les voitures d’enfants font partie pour les allemands du butin de guerre. C’est le pillage scientifiquement organisé, collectif, exécuté par ordre supérieur et non un pillage individuel du fait des traînards et des maraudeurs comme cela se produit malheureusement dans toutes les armées.
Lorsque je suis au repos comme aujourd’hui il faut cependant se lever à 5h30 et faire à 6 heures l’appel de la batterie à l’emplacement du parc tout en haut du village, puis j’assiste à la messe célébrée dans l’église du village par un prêtre de l’ambulance voisine. Le reste de la journée se passe à des besognes plutôt peu intéressantes comme le nettoyage des rues et la distribution des vivres. Toute la journée je suis donc seul et j’en profite pour faire ma correspondance. A 18 heures mes camarades rentrent de la position de batterie et après avoir diné nous nous couchons de fort bonne heure d’abord pour économiser le luminaire et aussi parce que nous devons lever le lendemain à 4h30. Le pétrole et les bougies sont introuvables et nous n’en avons que des quantités très faibles fournies par le ravitaillement général de l’armée. Tout en effet doit nous arriver maintenant par les services de l’intendance car il n’y a plus dans notre village ni foin ni avoine ni paille. Il n’y a plus ni poules ni lapins ni légumes d’aucunes sorte et nous en sommes réduits au riz et aux haricots de l’Intendance. Les armées en campagne sont comparables aux sauterelles qui détruisent tout sur leur passage. Ceci n’est d’ailleurs pas surprenant puisque le modeste village où nous sommes est occupé par 1500 hommes et c’est pourtant un cantonnement « élargi ».
Aujourd’hui je viens d’apprendre au cantonnement une nouvelle à laquelle j’ai peine à croire. Il parait que dans la ville voisine de Clermont en Argonne à 2 km d’ici on peut prendre des bains ! Seulement il faut s’inscrire plusieurs jours à l’avance et encore on ne peut espérer réussir sans être particulièrement recommandé par quelque personne influente député ou ministre pour le moins. Comme il n’y a que deux baignoires pour tout le corps d’armée je crois que le mieux est de garder pour le moment le « statu quo » (traduisez : crasse).
20 octobre : Avec le même cérémonial que les autres jours nous repartons Chavane et moi à 5h15 pour mettre en batterie au nord-ouest de la ferme dans le bois. Nous effectuons 2 tirs dans la journée, un à 13 heures sur Vauquois, l’autre à 16 heures sur le bois en équerre de la cote 253. Cette position nous est maintenant complètement affectée et nous en profitons pour l’organiser le mieux possible. Nous construisons au-dessus de nos canons un système de camouflage qui les rend parfaitement invisibles. Depuis que nous occupons cette position nous n’avons pour nous abriter qu’une cabane construite avec des fagots et que nous décidons de remplacer par un abri enterré.
A 18 heures nous repartons pour Vraincourt au milieu d’une brume épaisse qui rend le terrain affreusement glissant.
![]() Forêt de HesseL'abri en fagots ltn Chavane et Desaulle | ![]() Forêt de HesseLa batterie camouflée |
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22 octobre : Je repars avec Chavanne dans les conditions habituelles. De toute la journée je n’effectue qu’un tir de onze coups dans la direction de Varennes. Hier après-midi Plantade et Chavanne ont exécuté un tir fort réussi sur le bois en équerre, tir si réussi qu’on ne voit plus aujourd’hui le moindre boche.
23 octobre : Plantade partant le matin avec la section je reste au cantonnement j’en profite pour aller dire bonjour à mon camarade Lerousseau dont la batterie est en position au-dessus de Vraincourt pour tirer sur le avions allemands. A 15h30 je pars du cantonnement pour aller prendre mon poste de garde à la position de batterie. Au moment où je passe à Aubreville les allemands tirent au nord du village entre les deux routes, ce qu’ils font d’ailleurs depuis plusieurs semaines. Les poilus facétieux ont immédiatement planté au bord de la route une pancarte ainsi conçue : « Défense d’entrer. Terrain réservé aux obus allemands ». Si l’artillerie est peu active en ce moment, l’infanterie ne l’est pas plus et nous avons l’impression nette qu’on ne veut plus rien faire, probablement faute de moyens. Quelques attaques sporadiques lancées ces jours derniers sur Vauquois ont été autant d’échecs. Le boche s’est cramponne au terrain et nous nous y cramponnons aussi avec activité malgré tout ce qui a été écrit à ce sujet. Dès le début d’octobre c'est-à-dire 8 jours après l’arrêt de la guerre de mouvement une ligne de défense existe à 1 km au sud d’Aubreville soit à 7 km au moins en arrière des avant-postes ; une seconde ligne existe aux lisières nord d’Aubreville, une 3ème ligne plus au nord vers les petits bois carrés, une 4ème ligne est amorcée vers la ferme Bertra ???? L’organisation de chaque ligne est évidemment peu complète et se limite à une simple tranchées mais cela parait déjà très bien de voir 15 jours après la stabilisation de front, 4 lignes de résistance jalonnées en seconde ligne sur une profondeur de 7 km. La ligne de résistance des bois carrés à 2 km au nord d’Aubreville mérite une mention particulière car elle est remarquablement exécutée et je voudrais en parler pour détruire cette légende d’après laquelle les allemands nous auraient appris à creuser des tranchées. Ceux qui osent soutenir cette opinion oublient un peu trop facilement Vauban et les sapeurs de Napoléon et, plus près de nous, les tranchées de Sébastopol. Les allemands, pendant la guerre de mouvement n’ont pas à proprement parler creusé de tranchées, car on ne peut appeler « tranchées » ces fossés peu profonds creusé à la hâte, sans pare éclats, sans communication avec les régions défilées. Pendant toute notre marche en avant succédant à la victoire de la Marne nous n’avons rencontré sur le terrain du combat que ces tranchées n’ayant comme pare éclats que des buffets de cuisine ou des portes de granges. Les allemands ni nous d’ailleurs ne pouvions faire autrement que ces travaux sommaires mais i est cependant vrai de dire que les Allemands ont fait pendant la première partie de la campagne un plus large usage que nous de cette fortification sommaire qui ne mérite guère d’ailleurs le nom de fortification mais bien plutôt celui de protection individuelle. Dès que la stabilisation des fronts nous a montré la nécessité de la fortification de campagne, le génie s’est mis à l’œuvre avec une activité digne d’éloges. Malheureusement le fantassin crut pendant longtemps que son rôle consistait à occuper et à défendre les tranchées construites par le génie. Les tranchées dont je parle furent pourtant creusées en partie par les fantassins mais sans aucun enthousiasme. La ligne de défense des bois carrés se compose d’une tranche double a deux étages de feu, sans créneaux, avec parapets à faible relief et traverses pare éclats. Avant de creuser les tranchées les mottes d’herbe ont été soigneusement retirées pour être remises en place le travail terminé afin de diminuer la visibilité. Des boyaux font communiquer les tranchées avec l’intérieur du bois. En avant un réseau de fil de fer protège l’ouvrage : des emplacements de mitrailleuses admirablement camouflés et invisibles sont établis un peu partout.
Dans la journée la batterie effectue plusieurs tirs pour la 29ème DI à l’est de Vauquois dans le but d’appuyer une attaque sur la Cigalerie et sur la Hardonnerie.
24 octobre : Installé dans les mêmes conditions que l’autre jour je passe une fort bonne nuit. Dans la journée j’exécute deux tirs sans importance du côté du Moulin du Pré. Nous avons toujours avec nous notre soutien d’infanterie qui aujourd’hui se compose d’un détachement du 3ème d’infanterie sous le commandement d’un adjudant. Celui-ci me raconte quelques ruses déloyales que les allemands emploient. Dans la nuit du 23 au 24 septembre dans les bois de Malaucourt le 3ème de ligne étant dans les tranchées entend des voix criant en français des phrases de ce genre : «Où est la 5ème compagnie ? – Par ici mon lieutenant ! – Allons ! Pressons nous ! Etc… ». Les allemands, car ce sont eux, prononcent heureusement « gombagnie » et, trahis par ce mot, paient cher leur félonie. Ils emploient naturellement pour nous tromper ceux de leurs hommes, et ils sont assez nombreux, qui parlent français ; mais ils n’en ont probablement pas assez car ils s’aident de recueils de phrases françaises qu’ils font débiter à leurs hommes. L’inconvénient c’est que ces hommes ne comprennent ce qu’ils disent et lancent des phrases qui n’ont aucun rapport avec la situation du moment. Par exemple, une certaine nuit les allemands avançant sur nos ligne, l’un d’eux s’écrie : « ôtez vos couvre-nuques » ! « La réponse ne se fit pas attendre. Certain autre soir un des hommes dans une tranchée entendant causer français en avant de lui et reconnaissant l’ennemi s’écrie : « mon lieutenant ce sont des allemands ! » - « Parfaitement, ce sont eux ! » répond une voix de l’autre côté ! Mais le fait le plus grave est celui qui fut communiqué par un ordre du CA. Dans la nuit du 9 au 20 octobre, un régiment de la 67ème division de réserve étant en tranchée sur les Hauts de Meuse entend une troupe s’avancer et une voix crier en français : « Ne tirez pas ! Ouvrez les culasses ! Nous sommes la relève de votre régiment ! » Par bonheur les tranchées étaient précédées de fils de fer qui retardent la marche de la troupe en question et permettent à nos hommes de se ressaisir. Bien convaincus que la relève du régiment ne peut venir de ce côté ni dans cette direction ni à cette heure, ils reconnaissent l’ennemi et ouvrent sur lui un feu violent. Le lendemain 300 cadavres gisaient sans les fils de fer.
A 16h30 je reprends le chemin de Vraincourt et j’apprends en y arrivant que les avions allemands ont jeté 3 ou 4 bombes sur la région de Clermont.
25 octobre : Le matin, départ dans les mêmes conditions que la veille et, comme toujours, la journée se passe dans le calme sauf 4 coups que nous tirons sur Vauquois.
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26-27 octobre : Ces deux journées se passent pour moi au cantonnement et une partie de mon temps est occupé par une visite des chevaux passée par le colonel, ce qui me vaut d’être attrapé parce que nos chevaux ont le poil long ! Comme si cela n’était pas normal pour des chevaux qui couchent en plein air depuis près de 3 mois.
![]() Cantonnement à VraincourtLes écuries de campagne | ![]() Cantonnement à VraincourtRepos au parc | ![]() Cantonnement à VraincourtChavane et Plantade |
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![]() Cantonnement à VraincourtLa mort du cheval |
Si la situation est calme devant nous il n’en est pas de même à gauche car le canon a tonné toute la journée avec violence. Le 2ème corps s’est emparé de Melzicourt et a gagné du terrain au nord du Four de Paris. A droite le 15ème CA a gagné du terrain dans la direction de Brabant et de Malancourt.
Le soir du 27 nous invitons à dîner un des aumôniers de l’ambulance, l’abbé Gailhouste qui dans le civil est vicaire à Clichy. Il est absolument renversé par notre menu.
28 octobre : Le matin par un temps affreux je remonte à la position. En y arrivant je reçois l’ordre de ne plus tirer au maximum que 5 coups par pièce. C’est vraiment le rationnement car la pénurie de munitions se fait sentir maintenant à l’état-major surtout dans l’artillerie de campagne.
Le 15ème CA appuie à droite et est remplacé par le 5ème dont le front s’étend maintenant jusqu’au pont des 4 enfants. Dans la journée nous effectuons quelques tirs et ne quittons notre position qu’à 18h30 sur l’ordre du général Gouraud commandant la 10ème DI.
Naturellement pour rentrer le soir et circuler sur les routes il faut posséder le mot d’ordre. Ce soir le mot d’ordre est parait-il « Jandrize ». Je ne connais pas cette ville célèbre mais tant pis ! Au premier factionnaire qui m’arrête sur la route en criant « Halte là ! Qui vive ? » Je réponds « Jandrize » - « Passe au large ! » Enfin après avoir parlementé avec le chef de poste j’apprends que le mot d’ordre est « Landrecies ! » Ces jours derniers j’ai eu également beaucoup de mal à me faire reconnaître lorsque les mots d’ordre étaient un peu compliqués comme « Samothrace » ou « Thermopyles ».
29 octobre : Ma journée se passe au cantonnement et j’en profite pour faire un peu de musique sur l’harmonium de l’église avec mes deux camarades Millot et Royer de la 2ème batterie. Nous projetons en effet de chanter à la messe des morts lundi prochain.
Le soir la batterie rentre assez tard et j’apprends que nous avons pris dans la journée la cote 253. On nous annonce également la prise de Boureuilles qui sera d’ailleurs abandonnée la nuit suivante.
Depuis quelques jours le capitaine Annibert légèrement malade est à l’hôpital de Clermont et le commandement du groupe est exercé en son absence par le capitaine d’Ainval qui profite de ses fonctions pour nous créer toutes sortes d’ennuis. Ce matin, en particulier il s’est produit à la position de batterie un incident particulièrement grave. Ainsi que je l’ai expliqué, les positions de batteries sont gardées la nuit par un détachement de 3 ou 4 hommes par unité dont un gradé. Pour notre batterie nous avons cette nuit le brigadier Renaud avec 3 servants dont Foubert et le chef de poste, un sous-officier de la 2ème batterie. Le commandant du détachement est l’adjudant de la 2ème batterie. Au lever du jour le canonnier Foubert étant de garde fait les 100 pas derrière les canons pendant que le brigadier et les autres hommes accroupis autour d’un feu de bivouac préparent le café. Le café étant prêt, Foubert demande au brigadier de lui laisser son quart au chaud jusqu’à la fin de sa faction et il continue à marcher de long en large, au milieu d’un brouillard très épais à 5 ou 6 mètres du feu de bivouac. Au bout de quelques minutes comme le jour commence à poindre, Foubert se rapproche du feu et se met en devoir de siroter son jus. A ce moment précis les batteries arrivent le capitaine d’Ainval en tête. N’étant pas arrêté pas la sentinelle il arrive jusqu’aux pièces et trouve mon Foubert accroupi près du feu, d’où le scandale. A son retour le soir au cantonnement le capitaine d’Ainval me fait part de ce « grave incident » et m’informe en même temps qu’il dépose une plainte contre Foubert et aussi contre Renaud comme complice et ce pour le motif suivant que je copie textuellement : « Abandon de poster sur le champ de bataille en présence de l’ennemi ». Avec un pareil motif c’est la peine de mort dans les 24 heures pour mes deux poilus. Ayant interrogé ces derniers je me rends compte qu’il y a évidemment faute de leur part, mais faute bien peu grave et qui ne mérite que quelques jours de prison tout au plus. Je rédige un rapport dans ce sens et le remets au capitaine d’Ainval qui m’a convoqué chez lui. Dès les premières lignes il éclate en fureur : «Ce rapport est faux, il est tendancieux et vous cherchez à disculper vos deux hommes. J’accuse votre servant d’avoir abandonné son poste et votre brigadier de l’y avoir autorisé. J’accuse également votre brigadier de n’avoir mis qu’une sentinelle simple au lieu d’une sentinelle double comme le prévoit le règlement sur le service des armées en campagne. De plus, cette sentinelle était mal placée ». Figé dans le garde à vous le plus réglementaire les oreilles commencent cependant à me chauffer terriblement. « Mais, mon capitaine, le brigadier Renaud n’est pas coupable de n’avoir mis qu’une sentinelle et de l’avoir mal placée puisqu’il n’était pas chef de poste. D’ailleurs il vous suffira pour vous en convaincre de faire comparaître ces deux sous-officiers. » - « C’est cela, me dit-il, vous voulez faire retomber la faute sur deux sous-officiers de ma batterie. La question n’est pas là » -« Il me semble, mon capitaine que la peau de mes deux hommes mérite bien qu’on examine la chose de plus près » -« Je l’examine, me répond le capitaine, au point de vue militaire. » -« Et moi, mon capitaine, je ne fais pas autre chose ». Je commence à être plus qu’échauffé par cette scène ridicule qui se passe en présence de Millot, de Royer, du chef de la 2ème et du mien. Enfin, à bout d’arguments le capitaine d’Ainval me jette à la tête : «Vous ferez ce que vous voudrez, ils passeront en conseil de guerre ! » Alors ma colère éclate : raidi dans mon attitude la plus militaire, mais pâle de fureur je lui crie à la face : «Et bien, mon capitaine, s’ils passent en conseil de guerre, c’est moi qui serai leur avocat et je vous prie de croire qu’ils seront bien défendus ! » -« Sortez ! me crie le capitaine rouge de colère, vous aurez huit jours d’arrêts ! » Encore plus raide je le salue d’une manière ultra réglementaire, fais demi-tour de même et sors en claquant la porte à la briser. Revenu près du capitaine Meckler toujours dans lit et qui m’avait donné la mission de porter, en même temps que mon rapport, une lettre écrite par lui à titre de camarade, je suis sévèrement réprimandé par lui pour mon manque de modération. « Mon capitaine, lui dis-je, si vous aviez été à ma place vous auriez giflé cet imbécile. » Je suis à peine rentré depuis quelques minutes que le fourrier de la 2ème batterie vient me chercher de la part de son capitaine. Je comparais à nouveau devant ce dernier et m’arrête, figé dans l’attitude la plus militaire. Le capitaine me reproche tout d’abord de l’avoir menacé devant deux de ses sous-officiers ce à quoi je ne daigne pas répondre. Ayant fait comparaître l’adjudant, celui-ci confirme que la consigne a été fixée par lui et non par le brigadier Renaud. Le capitaine d’Ainval rédige alors 2 motifs de punition à peu près sensés et me dit de les porter à mon capitaine en lui demandant de lui fournir un rapport et de porter les punitions. « Je n’en ferai rien, me dit le capitaine, je ne ferai pas de rapport et je ne porterai pas de punition. » Il rédige au contraire une lettre pour Plantade qui est cette nuit à la position de batteries, pour le mettre au courant de la question et lui dire de se tenir sur ses gardes.
30 octobre : Pendant que je suis à me morfondre au cantonnement, la batterie sur la position exécute deux tirs pour la préparation de l’attaque sur Vauquois. Si l’attaque réussit nous devrons en être avertis par un fanion hissé sur le village au vu duquel nous devons allonger notre tir sur les pentes nord. Le village n’est d’ailleurs pas pris et à 11h45 nous recevons l’ordre de cesser le feu. A 13h15 le général Gossart nous signale qu’un régiment ennemi débouchant de Cheppy a quitté la route d’Avocourt à hauteur de l’M de « Moulin de Pré de l’Orfèvre » pour se porter vers la cote 239 et Vauquois. La batterie tire donc cette région. A 14 heure, nouvel ordre du général Gossart : les troupes qui étaient signalées tout à l’heure sont rassemblées vers IN de « Moulin ». Nous tirons à nouveau dans cette région. A 15h20, ordre du lt col commandant l’A.L. de tirer sur la croupe 253 mais pas plus au sud de ce point. Le village de Vauquois est donc loin d’être pris !
Ayant raconté exactement à mon capitaine les incident de la veille, il me félicite. Dans la journée je reçois pour mes hommes 8 paquets offerts par les habitant de Jouy le Potier (Loiret) contenant chacun une chemise, un caleçon, une paire de chaussettes, un gilet de flanelle, une ceinture, des gants, du savon, du papier à lettres et du tabac. Cet envoi nous cause un grand plaisir.
![]() Bombardement sur Vauquois | ![]() Bombardement sur Vauquois 1 |
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31 octobre : Le matin je pars à la position de batterie et passe ma journée dans ma caverne près de mon feu, caverne que nous nous sommes creusée, Chavanne et moi aidé des pointeurs Desmons et Boisard, et qui est assez confortable puisqu’elle possède deux bancs en terre et une table faite de deux rondins refendus à la hache. Je n’ai ni l’eau ni l’électricité mais je possède le téléphone et bien que mon numéro ne figure pas sur l’annuaire je peux correspondre avec beaucoup de gens, d’une manière d’ailleurs assez précaire. Dans la paroi opposée à la porte une cheminée a été creusée dans l’argile et nous y faisons des flambées à rôtir un bœuf ce qui est fort appréciable car il fait depuis plusieurs jours un froid très vif. Le combustible ne manque d’ailleurs pas autour de nous. A défaut de bœuf j’avais rêvé d’y faire rôtir une cuisse de sanglier, mais ces sales bêtes qui sont pourtant abondantes dans la forêt où nous sommes ne se laissent pas approcher facilement. A mesure que le froid va augmenter nous aurons plus de chances d’en tirer.
La forêt continue à être de plus en plus superbe avec les tons si variés de ses feuilles mortes qui varient du jaune citron au marron foncé. Presque toutes les essences c’arbres sont représentées sauf celle qui à mon avis serait la plus utile en ce moment : le châtaigner dont le fruit serait pour nous une grande ressource. Il y a par contre beaucoup de chênes mais j’en laisse les fruits aux sangliers de la forêt que j’entends rôder la nuit autour de ma cabane lorsque je suis de garde.
![]() Les IslettesArrivée de deux canons | ![]() Les IslettesL'arrivée de deux canons |
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