Capitaine Pierre DESAULLE
Mémoires de guerre 14/18

Au matin du 1er août la situation diplomatique fortement tendue depuis l’assassinat de Sarajevo est de plus en plus inquiétante. Sans doute l’irrémédiable ne s’est pas encore produit mais on doute de plus en plus que les efforts pacifiques de la Russie, de l’Angleterre et surtout de la France parviennent à calmer l’ardeur belliqueuse des empires centraux. Déjà en France les premières mesures de sécurité militaire ont été prises et nous ne faisons en cela qu’imiter les allemands qui ont décrété depuis plusieurs jours « l’État de danger de guerre » qui sert de prétexte à une mobilisation déguisée. Pour ma part j’ai commencé dès le matin le rassemblement de mes effets militaires. L’après-midi comme tout parait calme dans Paris je me rends à mon bureau comme d’habitude mais l’état d’inquiétude et d’énervement dans lequel je me trouve m’enlève toute possibilité de travail et vers 15h00 je me décide à revenir à la maison. Paris semble toujours calme mais en arrivant chez moi je remarque que la porte de la caserne des Célestins est fermée. Quelques personnes groupées en cet endroit lisent un placard minuscule affiché sur la porte « Ordre général de mobilisation. Le premier jour de la mobilisation est fixé au 2 aout 1914. Signé : Poincaré ».
La lecture de ce laconique et terrible papier me cause une impression d’immense désarroi et en même temps de muette résignation. Ce que nous redoutions tant depuis plusieurs jours est malheureusement arrivé. Ainsi il va falloir brusquement se séparer de toutes ses affections, brise un foyer à peine construit, commencer une nouvelle vie pleine d’un redoutable inconnu, braver des dangers, faire peut-être le sacrifice de sa vie. Il me semble que je n’ai pas peur, mais au fond je serais en peine d’analyser exactement les sentiments que j’éprouve en ce moment. Il est certain en effet que nous allons nous battre. Sans doute comme le dira plus tard une proclamation du Président de la République « la mobilisation n’est pas la guerre » mais connaissant les intentions agressives des allemands je suis certain que le conflit ne se liquidera de manière pacifique. L’Allemagne qui se prépare à la guerre depuis de longues années veut à tout prix réaliser et rien ne l’arrêtera dans cette voie. La succession des évènements depuis l’assassinat de Sarajevo ne montre que trop bien une intention évidente de guerre de la part de l’Allemagne, sinon de l’Autriche.
Mon ordre de mobilisation prévoit que je dois rejoindre au Mans mon régiment, le 2ème d’artillerie lourde, sans délai ; je pense partir le soir même mais j’ai, avant de partir, trop de préparatifs à faire pour parachever mon équipement. Mes vêtements militaires sont à la Belle Jardinière aux fins d’écussonnage, par suite du changement de régiment du groupe auquel j’appartiens. Courir après tout cela est plutôt pénible, les transports dans Paris étant tous arrêtés sauf le Métropolitain. Les autobus en particulier sont rentrés à leurs dépôts pour faire leur toilette de guerre. Je les retrouverai dans quelques jours à la frontière transformés en voitures à viande. Les magasins de nouveautés sont littéralement envahis par une foule de mobilisés qui viennent s’équiper en chaussures, guêtres, etc… Tout le monde est calme, plein de confiance et de résolution. Pas une note discordante. Chacun part avec cette idée que l’Allemagne va nous attaquer et qu’il faut en finir une bonne fois. Nanti d’une paire de jambières, de solides brodequins ainsi que d’un harnachement et d’une paire de jumelles, cadeau de mon beau-père, il ne me manque plus rien et je peux partir.
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Le lendemain 2 août le matin de bonne heure et après des adieux fort tristes à tous ceux que j’aime nous partons mon beau-père et moi pour la gare Montparnasse. La gare est envahie de mobilisés rejoignant leurs dépôts et aussi de braves gens surpris à Paris par la mobilisation générale et qui veulent rentrer chez eux. Les portes de la gare impitoyablement fermées ne s’ouvrent que devant les mobilisés auxquels les trains sont réservés exclusivement jusqu’à nouvel ordre. A peine suis-je dans la gare que mes cantines sont empoignées par un homme d’équipe et enregistrées. 30 secondes après je suis sur le quai où un train m’attend.
Dans le train, rien que des mobilisés. Je retrouve beaucoup de camarades qui rejoignent comme moi le 2ème lourd, le 31ème ou le 44ème d’artillerie au Mans. Nous partons presque à l’heure exacte comme si rien n’était changé depuis le matin, et cela est de bon augure. Nous n’avons en route aucun accident : la voie est d’ailleurs étroitement surveillée par de braves GVC (gardes de voies de communication) qui n’ont pour toute tenue militaire qu’un képi. Dans les wagons beaucoup de calme. Seuls trois soldats bretons chantent dans leur langue une mélopée sans fin. Deux autres, fortement pris de boisson se transforment mutuellement la figure en tomate mûre. Cela sera le seul incident de la route et, chose remarquable sur le réseau de l’Etat nous arrivons au Mans sans retard appréciable. Tout le long du chemin je peux constater que chacun part tranquillement et sans forfanterie. Ce spectacle de courageuse résignation m’impressionne fortement. Au quartier Paixhans où je me rends dès mon arrivée l’agitation est grande. Mon unité, la 1ère batterie de 2ème lourd est prête à partir pour son cantonnement de mobilisation qui est le village de Coulaines qui est situé à 11 km du Mans. La batterie à laquelle je suis affecté est l’ancienne batterie Ostermeyer dans laquelle j’ai déjà fait mon année se service militaire et deux périodes d’instruction. J’y connais donc presque tous les gradés.
Mon commandant de batterie est la capitaine Meckler ( ) que je connais depuis de longues années et que j’estime beaucoup. C’est un officier fort capable, plein de cœur et d’énergie, d’un dévouement très grand, trop grand même car j’ai peur qu’il ne se ménage pas et qu’il ne puisse nous conduire jusqu’au bout. Comme camarades j’aurai le sous-lieutenant de Blois de l’armée d’active adjoint au capitaine, et le sous-lieutenant de réserve Chavane de Dalmassy (NOTE DE L’ÉDITEUR 1881/1957 Off LH, Croix de guerre 14/18, X 1899, Mines 1902) commandant la 1ère section. La 2ème section qui comporte, comme la 1ère, 2 canons et 4 caissons est sous le commandement de l’adjudant Lemasson.
Ma section, la 3ème, comprend 8 caissons et les voitures de service c’est à dire forge, chariot de batterie, fourragère et 3 fourgons. Le groupe est sous le commandement du chef d’escadron Drouhard, un « lourd » de la première heure. Je suis certain qu’il nous conduira d’une façon parfaite. La 2ème batterie est commandée par le capitaine d’Ainval assisté des lieutenants Moison de l’active (MPLF Verdun 1916) Millot et Rouyer de la réserve. La 3ème batterie est commandée par le capitaine Neuville assisté du lieutenant Carnet de l’armée d’active et Maze de la réserve. Le commandant a comme adjoint le lieutenant Baudelle ( ), l’adjudant-chef Beltramelli, les lieutenants Dinet et Guilmin qui sortent de l’École Centrale. Mon camarade Teinturier est officier d’approvisionnement : nous sommes surs avec lui de ne pas mourir de faim. L’état-major est complété par le médecin aide major de réserve Lenoble mais nous n’avons pas de vétérinaire. Notre groupe est complété par un groupe de 3 colonnes légères de munitions sous le commandement du chef d’escadron Channinel (?) de l’active. Il y a enfin un groupe de 3 sections de munitions sous le commandement du chef d’escadron Longepied, un vétéran de la guerre de 1870. En somme, un bon groupe, bien encadré, bien entraîné et qui fera, j’en suis sûr, d’excellente besogne. Tout le monde part de bon cœur et avec une confiance absolue. L’entrain est grand et malgré toutes mes angoisses je crois que nous ne nous ennuierons pas d’autant que nous ne pourrons faire autrement.
![]() mdl Dugaud, cne Meckler, mdl Langlois | ![]() Le cne Meckler et les ltn de Blois et Desaulle | ![]() Ltn Chavane, adj Lemasson, can Nieto |
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![]() Médecin aide major Lenoble, cne Meckler | ![]() Br Tarot, mdl Métayer, Cne Meckler, can Hubert, mdl chefr Danjean, mdl Dugaud, mdl Langlois | ![]() mdl Dugaud, can Hubert, mdl Huet, adj Lemasson, mdl Fourcade |
![]() Ltn Chavane, adj Lemasson, Ltn de Blois | ![]() Ltn de Blois, adj Lemasson, ltn Desaulle |
Dans l’après-midi donc, nous partons pour Coulaines qui sera pour nous pendant une huitaine de jours notre cantonnement de mobilisation. C’est là que nous nous complèterons en chevaux et en hommes avant de partir pour la frontière. Les unités du temps de paix ne sont en effet que des embryons que la mobilisation doit quintupler. Nous avons heureusement un temps superbe ce qui facilite beaucoup les choses pour un début car nous sommes tous (je parle des jeunes) un peu novices dans ces opérations si complexes de la mobilisation. Il faut toucher dans les magasins tous les approvisionnements depuis les harnais des chevaux jusqu’aux trousses de fil et aiguilles en passant par les projectiles et voitures de toutes sortes. Il faut recevoir les hommes, les habiller, indiquer à chacun son poste. Il faut aussi recevoir les chevaux, les ferrer, les matriculer, donner à chacun un harnachement. Tout est heureusement prévu avec minutie. Il ne manque rien et tout ce que nous touchons est de la meilleure qualité. Vraiment cette fois ci on peut dire qu’ « il ne manque pas un bouton de guêtres ». Un exemple typique : il faut que les réservistes arrivant en civil puissent renvoyer chez eux leurs vêtements. Et bien, même sur ce point tout a été prévu : la toile d’emballage pour faire les paquets, la ficelle pour les attacher et pour les adresses de superbes étiquettes d’un parchemin bien plus beau que celui de mon diplôme de l’École Centrale.
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Les réservistes commencent à arriver dès le deuxième jour, le 3 août, sans retard, très calmes quoique pleins d’ardeur et, chose remarquable pour le pays, aucun n’est ivre sauf cependant une de mes vieilles connaissances le canonnier Bertin dit « Lago » notable marchand de peau de lapins de la ville de Rennes et qui, lui, est fortement éméché. Il est si heureux de me revoir qu’il veut absolument m’offrir un verre. On assiste à des scènes plus édifiantes : un homme qui était chez lui en convalescence de deux mois pour maladie grave est rentré pour partir en campagne plus tôt. Un autre rayé des contrôles de la batterie et désigné pour rester au dépôt ne veut pas s’en aller et refuse de rendre les vêtements que nous lui avons donnés par erreur. Tout le monde veut partir et le bureau de recrutement du Mans est envahi par des vieux qui veulent à toute force reprendre du service dans n’importe quoi.
Chaque homme, dès son arrivée, reçoit une « collection » complète : képi, manteau, linge, veste, brodequins, culotte ou pantalon, jambières ou guêtres, sans compter les menus objets d’équipement : bidon, quart, cuillère, fourchette, musette, fil et aiguilles. Chacun d’eux touche aussi des armes (revolver pour les conducteurs et mousqueton pour les servants). C’est une profusion d’objets les plus variés qu’il faut distribuer à 250 hommes. Les écussons au numéro du régiment ne sont cousus ni sur les vestes ni sur les manteaux ainsi chaque homme doit-il se transformer en couturière ce qui donne les résultats les plus fantaisistes. Enfin tout finit par s’arranger et mes hommes habillés à neuf des pieds à la tête ont assez bonne figure. Quant aux sous-officiers nous en avons un excédent mais aucun ne veut rester au dépôt : un tirage au sort s’impose.
![]() La distribution | ![]() La distribution | ![]() La distribution |
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A partir du troisième jour les chevaux commencent à arriver dans l’après-midi. Ce sont pour la plupart des bêtes superbes recrutées aux environs, vigoureuses, grandes, un peu ventrues, à cause de la nourriture herbacée qui leur est donnée dans les fermes. Le régime de l’avoine leur fera perdre bientôt ces formes opulentes, surtout combiné avec les fatigues de la campagne. A mesure que les chevaux arrivent le premier travail est de les baptiser, ce qui se fait au moyen d’une liste préparée à l’avance et qui contient naturellement les plus baroques. Ensuite il faut noter le signalement de chaque cheval, lui donner un numéro matricule que l’on marque au fer rouge sur l’un des sabots pendant que sur l’autre on indique au fer rouge l ’unité à laquelle il appartient sous la forme 2AL1B. Puis il faut répartir tous ces arrivants entre les différentes voitures ce qui se fait non par «sympathie » mais suivant les aptitudes de chacun. Les plus fins sont baptisés « de selle » et affectés aux gradés. Les plus gros sont promus à la dignité peu enviable de « porteurs » ils devront traîner les voitures et porter par surcroît un homme sur le dos. Parmi ceux-ci les meilleurs sont nommés « porteurs de derrière » ce qui est un poste de confiance. Les autres sont de vulgaires « sous verges ». La fourragère en particulier reçoit trois magnifiques chevaux gris qui feront l’admiration des populations.
![]() Le tri des chevaux | ![]() Les chevaux de la fourragère |
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Quant à moi je fixe moi choix sur un très grand cheval rouan vigoureux très « en avant de la main » et qui répondra au nom d' "Agio". En fin il faut ferrer tous ces chevaux, les habiller c'est-à-dire leur ajuster un harnachement. Toutes ces opérations qui sont à répéter sur 250 chevaux nous prennent beaucoup de temps.
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Le 4 août le 117ème régiment d’infanterie s’embarque au milieu d’un enthousiasme délirant. Étant allé au Mans l’après-midi de ce même jour j’apprends des nouvelles aussi sensationnelles que ridicules entre la lutte de Garros (Mort au champ d’honneur) contre un Zeppelin. A part cela nous ne savons même pas si la guerre est déclarée et si l’Angleterre est à nos côtés.
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A partir du 6 août la batterie commence à prendre figure.
Le 7 août pour la première fois nous attelons nos chevaux de réquisition ce qui n’est pas une mince affaire. Les malheureuses bêtes ne sont pas habituées à être réunies par 6 sur une même voiture, elles ne sont pas non plus habituées au harnachement militaire si différent du harnachement civil et encore moins à porter un homme sur le dos. Le harnachement civil comporte en effet un collier et les chevaux développent leur effort par les épaules. Dans l’armée au contraire le collier n’existe pas et les chevaux font effort sur une « bricole » qui appuie sur le poitrail. Les débuts sont assez pénibles : ruades, cabrades, écarts tout cela au milieu des claquements de fouets, des vociférations des conducteurs. La voiture médicale sous la conduite du brave Betton est la cause d’un bon moment de gaieté. Tout cela dure peu heureusement et ces chevaux y mettent tellement de bonne volonté qu’au bout de quelques minutes les voitures trottent bien sagement autour du pré qui nous sert de champ de manœuvre.
Ma section est maintenant au complet : elle comprend pour mes douze voitures 75 hommes et autant de chevaux. Par une coïncidence on a groupé dans cette section beaucoup de ministres et d’anciens ministres : Briand, Pichon, Gautier, Lebrun, et même Caillaux sans compter le premier ? ministre belge Davignon qui sera mon ordonnance. J’ai pour me seconder trois sous-officiers de la réserve : Guerrier, ouvrier serrurier à Paris et qui est bien le type accompli du gavroche et le fourrier Dugaud entrepreneur de maçonnerie à Paris. J’ai également sous mes ordres le maréchal de logis maréchal ferrant Fremy. Le rôle de ma section pendant le combat consistera à assurer le ravitaillement de la batterie en munitions. Il me faudra donc malgré les vicissitudes du combats et les déplacements continuels me maintenir constamment en liaison avec la batterie d’une part et avec les sections de munitions d’autre part de manière à pouvoir recevoir de celles-ci les munitions que je livrerai à celle-là. De plus comme étant le plus ancien des trois commandants d’échelons de batteries j’aurai la responsabilité des 3 échelons du groupe. Tout mon personnel est logé dans les fermes qui avoisinent le village de Coulaines. Chaque jour je fais le tour de ces cantonnements pour prendre contact avec mes hommes qui sont tous de très braves gens et avec lesquels je suis sûr de m’entendre parfaitement.
Les nouvelles commencent à nous arriver de source officielle. La superbe résistance des belges me remplit d’admiration et, je peux bien le dire, d’étonnement. Je ne croyais pas l’armée belge si faible numériquement serait capable d’un tel effort. J’ai bon espoir que nous allons les soutenir et il se pourrait que notre régiment soit envoyé de ce côté. Nous devons embarquer le 10 pour une destination inconnue, ce qui ne sera pas une petite affaire puisque notre groupe au complet occupera 18 trains de 45 wagons. L’artillerie de campagne est déjà partie acclamée elle aussi par toute la population et couverte de fleurs. C’est un vrai délire qui m’étonne de la part des Manceaux, gens peu enthousiastes d’habitude. Dans notre petit village de Coulaines nous sommes un peu à l’écart de ces manifestations mais tout de même nous sentons bien la sympathie des habitants qui se manifestera plus nettement le jour de notre départ. Parmi tous ces habitants la première place dans ma pensée revient au très digne pasteur de la paroisse l’abbé Loudière qui pendant cette période de la mobilisation sut si bien dire à nos hommes les paroles qui soutiennent et encouragent. Je me souviendrai longtemps des paroles si pleines de sens qu’il prononça le 8 aout à l’issue de la messe du matin où nous avions communié le capitaine, mes camarades et moi. L’effet de son allocution a été immédiat et le dimanche à la messe de 6 heures l’église est pleine de soldats dont la moitié au moins communie. C’est un spectacle vraiment fort impressionnant de voir tous ces hommes rudes unis dans un même sentiment de profonde ferveur. Dans ces moments il passe sur tout le monde un grand souffle d’union. Il n’y a plus de respect humain ; il n’y a plus que des hommes qui vont peut-être mourir et qui s’y préparent le mieux possible. La messe est servie par deux soldats le maréchal des logis Metzger et le canonnier Somme, séminariste du diocèse de Versailles ; ceci ajoute à la beauté impressionnante du spectacle, enfin, ce qui ne nuit pas, le cadre de la cérémonie est une jolie église romane. Nous vibrons vraiment ce jour-là d’une émotion intense et d’une grande joie patriotique. La veille au soir nous avons déjà appris l’héroïque résistance de Liège que le gouvernement français décore de la Légion d’Honneur, nous avons appris aussi le débarquement des premières troupes anglaises à Calais et à Boulogne. A la messe de 10 heures le curé devait nous annoncer en chaire une nouvelle bien plus émouvante encore : la prise de Mulhouse ! L’émotion de tous est poignante. Les renseignements se précisent bientôt : nos troupes tiennent Altkirch, Mulhouse et Colmar acclamées par les populations de ces vaillantes cités. Ceux qui ont vu de tels spectacles peuvent mourir. Et je songe qu’un homme en France est mort trop tôt : Déroulède. Quelle n’aurait pas été la joie de ce grand français en voyant son rêve enfin réalisé : le retour à la mère patrie de ces deux provinces volées. Nous sommes tout à la joie, d’autant plus que notre capitaine est originaire de Mulhouse, ce qui est une raison de plus de lui témoigner notre affection. Le soir à l’appel de 16 heures alors que tous les hommes sont rassemblés, l’un d’eux apporte au capitaine une superbe gerbe de fleurs cravatée de tricolore et lui adresse un compliment au nom de tous ses camarades. Le capitaine y répond d’une voix émue et sa péroraison est saluée de cris répétés : vive la France ! vive notre capitaine ! Nous sommes tous vivement impressionnés.
Le groupe est maintenant est prêt à partir ; il ne nous manque plus que les vivres pour le trajet en chemin de fer que je vais toucher à la Manutention militaire. Le mot « corvée » est bien celui qui convient pour ces sortes d’opérations. Pour le tabac tout se passe à peu près normalement, il en est de même pour le sucre le café et le sel mais pour le pain c’est une autre affaire. La manutention militaire est absolument débordée : on vient lui demander beaucoup plus de rations qu’elle n’en a prévues et pour comble de malheur les fours de campagne installés dans la cour ne marchent pas ! Aussi de quelle manière aimable suis-je reçu par ce pauvre officier d’administration gestionnaire lorsque je viens lui demander pour nous plusieurs milliers de rations ! Je suis obligé d’attendre que la fournée en train soit cuite et de charger dans mes fourgons des pains qui brulent les doigts ! Où donc sont les 48 heures de « ressuage » imposées par le règlement pour le pain militaire ? Sur ces entrefaites le commandant Drouhard arrive et voyant que je ne touche que 3 jours de pain au lieu de 4 que je devais toucher, il commence à me traiter de haut en bas : « vous êtes donc plus idiot que tous les idiots de votre batterie ? » J’encaisse l’algarade et explique au commandant que je serais bien en peine de toucher plus de pain puisque qu’il n’y en n’a pas d’autres. A cette nouvelle sa colère ne connait plus de bornes et d’un bond il se précipite dans le bureau de l’officier d’administration en tempêtant et criant que c’est une honte que de voir l’intendance faillir à ses obligations, que c’est la fin de tout, qu’il est inadmissible que etc.. Le pauvre « riz pain sel » à trois galons qui n’est pas responsable de la situation se rebiffe sous ce torrent d’imprécations et, moitié criant moitié pleurant, menace le commandant qui est pourtant son supérieur de le jeter à la porte. Il n’en fait rien d’ailleurs et après un court échanges d’explications les deux adversaires se réconcilient par une poignée de mains. Nanti de mon pain chaud, de mon riz, de mon sucre et de mon café (un moka de 1ère qualité) je rentre à Coulaines.
Le soir au diner le commandant Drouhard nous offre le champagne et nous nous buvons à la victoire que chacun suppose prochaine. Les braves gens qui nous hébergent depuis huit jours ainsi que le médecin auxiliaire Debray nous offrent également le champagne après diner et leur fille me remet un superbe bouquet cravaté de tricolore. Toutes ces libations font que ne me couche qu’à 11 heures du soir ce qui n’est vraiment pas convenable la veille d’un départ pour la guerre.
10 août : Jour du départ : Ce matin à 4 heures le curé du village nous dit la messe à laquelle nous assistons tous. A cette messe comme lors de toutes les autres je demande à Dieu de m’épargner s’il le juge bon mais surtout de me donner toujours le courage dont j’aurai besoin pour donner le bon exemple à mes hommes. L’embarquement du groupe doit commencer ce matin et le premier train comprendra l’état-major du groupe et une partie de la 1ère batterie avec le capitaine. Cette première fraction quitte le cantonnement à 7 heures du matin au milieu d’un enthousiasme indescriptible acclamée par toute la population et couverte de fleurs. Alors que la batterie est rassemblée avant le départ la population en habits de fête précédée d’enfants en robes blanches les bras chargés de fleurs vient nous faire ses adieux et nous apporter ses vœux.
![]() Les habitantes préparent des guirlandes de fleurs |
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Le maire en tête de son conseil municipal nous dit en termes émus la confiance que la France a en nous et nous souhaite un prompt retour. Le commandant Drouhard la voix étranglée par l’émotion ne peut répondre à cette harangue et pour mettre un terme à cette émotion trop vive donne le signal du départ. La traversée de village est triomphale : toutes les maisons même les plus modestes sont pavoisées ; les hommes, les chevaux, et les voitures disparaissent sous une véritable avalanche de fleurs les jardins ayant été pillés pour nous. A 11 heures le départ de la deuxième partie de la batterie sous mon commandement donne lieu aux mêmes transports d’enthousiasme. Nous traversons ainsi la ville du Mans, sabre au clair, acclamés par la foule et couverts de fleurs pour le plus grand affolement de mon brave « Agio ». Comme nous arrivons à l’octroi de la ville j’aperçois un vieux brave décoré de la médaille de 1870 et qui nous regarde passer. Je le salue du sabre et lui crie en passant « Nous allons vous venger ! » Le pauvre homme étranglé par l’émotion ne peut articuler une parole pour me remercier mais fait le geste de me presser contre sa poitrine.
Notre embarquement doit avoir lieu à Foucauges sur la route d’Yvré l’Evèque. Un train de 45 wagons nous y attend qui doit emmener la 2ème fraction de la 1ère batterie et la 2ème fraction de la 2ème batterie sous le commandement du lieutenant Moisan Le détachement de la 1ère batterie comprend, outre l’adjudant Lemasson et moi, 71 hommes, 2 canons, deux porte canons, 6 caissons et 1 fourgon. L’embarquement de tout ce matériel s’effectue rapidement sans accident ni incident malgré une chaleur torride. L’ardeur des hommes est telle que nous sommes prêts plus d’une heure avant le départ du train, 3h45. Aussi pour récompenser mes hommes je paye une tournée générale de cidre acheté chez le garde barrières voisin. A 3h45 exactement nous partons remplis d’enthousiasme et de confiance.

Ayant adopté chacun un coin de compartiment du peu confortable wagon AB qui nous a été octroyé nous commençons par nous installer, mes camarades et moi, aussi bien que possible en prévision de ce voyage qui sera très long : deux jours peut-être. Aussi nous avons fait dans les épiceries du Mans des provisions de bouche vraiment impressionnantes : poulets en conserve, boites de sardines, raisin, fromage, sans compter le « singe » réglementaire. Tout cela fait dans le compartiment un désordre des plus pittoresques. Je vais donc voyager avec Lemasson, le lieutenant Moisan et le lieutenant Millot de la 2ème batterie, ce dernier ancien élève de l’Institut agronomique et camarade de mon ami Tony Richard ( ). Le train roule sans incident à la vitesse réglementaire de 30km à l’heure. Tout le long du chemin les acclamations des populations nous saluent. Lorsque le train s’arrête les gens se précipitent pour offrir à boire à mes hommes et ces libations répétées commencent à faire quelque bruit mais tout cela se calmera avec la nuit.
A Rambouillet il doit y avoir une halte repas. Nous ne savons pas trop en quoi cela consiste, mais à peine sommes-nous arrêtés que le commissaire de gare, un vieux commandant à cheveux blancs, vient d’une manière fort civile nous tirer d’embarras et nous expliquer que ces haltes sont pour permettre aux hommes et aux chevaux de se rafraichir et de fait tout au long du chemin il y a des baquets pleins d’eau dans lesquels les gardes d’écuries peuvent venir puiser. Pour les hommes on a préparé du café chaud et de l’eau légèrement alcoolisée pour remplir les bidons. Cette organisation est évidemment peu de chose mais tout cela marche si bien, sans cris, sans à-coups que notre confiance en est encore augmentée. Allons ! Tout est bien prévu. Nous disons au revoir à ce sympathique officier qui a l’air de faire ce métier de commissaire de gare depuis de longues années et non pas depuis huit jours, et nous repartons. En arrivant au tunnel de Saint Cyr, émotion : deux coups de feu éclatent dans la nuit. Est-ce un attentat ? Revolver au poing je bondis à la portière : ce ne sont que les pétards du signal d’arrêt écrasé par notre locomotive. Nous aurons dans quelques jours des émotions plus vives. Par la ligne de la grande ceinture et Juvisy nous gagnons la ligne de l’Est. Le jour commence à poindre. A Fère en Tardenois halte repas avec le même cérémonial qu’à Rambouillet et le même commissaire de gare placide et aimable. A midi nous sommes à Reims. Dans un wagon soigneusement garé sous un pont nous voyons les premiers prisonniers allemands au nombre d’une cinquantaine environ. Ce sont pour la plupart des cavaliers, uhlans ou hussards de la mort. Ils ne veulent pas croire que nous soyons à Mulhouse et pourtant nos succès sont bien nets puisque nous apprenons la prise de Cernayet de Sainte Marie aux Mines dans les Hautes Vosges. Il y aussi 3 officiers allemands qui, pour l’instant, se promènent sur le quai de la gare, gantés de blanc, le cigare aux lèvres, avec une attitude provocante et insolente. Un officier français passant près d’eux les salue en disant : »Nous saluons les vaincus ». Cette plaisanterie n’étant pas de leur gout les 3 soudards rentrent dans une salle d’attente et ne reparaissent plus.
Notre voyage se poursuit par Challerange où nous voyons débarquer un autre groupe de Rimailho, Sainte-Menehould où on nous offre des médailles bénies, les Islettes et Clermont en Argonne. Enfin à 20 heures nous arrivons à Verdun qui est notre point de débarquement. Le quai de la gare est à peine éclairé à cause des incursions possibles d’avions allemands ou de Zeppelins aussi notre débarquement se fait avec quelques difficultés. Un de nos chevaux se casse une patte mais c’est heureusement le seul accident. Devant le quai de débarquement, sur une vaste place nous retrouvons la 1ère fraction de la batterie et l’Etat-major. Je demande au commandant de m’indiquer pour la nuit le cantonnement de ma section. « Voilà » me répond-il en me montrant d’un geste large le champ sur lequel nous sommes rassemblés. Bien qu’étant novice je ne manifeste aucune surprise. Après avoir installé le bivouac de mes chevaux je m’étends à terre roulé dans mon manteau la tête appuyée sur un sac d’avoine et j’essaye de m’endormir mais j’y réussis bien imparfaitement. Où donc est mon lit si confortable ?
A 4 heures réveil ou plutôt lever car cette première nuit de bivouac ne m’a pas été favorable et je n’ai pas beaucoup dormi. Les hommes n’ont pas été beaucoup plus favorisés que moi et j’en entends toute la nuit qui rodent à la recherche d’un endroit habitable. Le commandant qui couche près de moi sur quelques bottes de paille est même réveillé assez brutalement par quelques-uns de ces explorateurs qui veulent lui « emprunter » une partie de sa couche ; les énergiques et véhémentes protestations du commandant les mettent d’ailleurs rapidement en fuite. Au moyen de quelques pierres et d’un peu de bois nous improvisons un foyer rustique qui nous sert à préparer un admirable café, mon premier « jus » de guerre qui, je le crois bien, n’a jamais été égalé comme arome. Il est d’ailleurs le résultat de la collaboration de toutes les bonnes volontés.
Nous recevons bientôt l’ordre d’aller cantonner à Woimbey au pied du fort de Troyon et comme le groupe des colonnes légères a terminé son débarquement dans la nuit nous partons vers 5 heures du matin pour le susdit village. La chaleur est torride, malgré l’heure matinale, et je souffre horriblement de la soif d’autant plus que je me suis juré à moi-même de ne jamais boire d’eau pour échapper à la dysenterie si possible. Enfin nous atteignons Woimbey où le groupe se forme dans un vaste champ en position de bivouac. Par bonheur le pays où nous sommes a une grande ressource : l’eau. Le ruisseau de Thillombois qui arrose le village et va se jeter à 1 km de là dans la Meuse roule une eau très claire dans laquelle nous pouvons baigner nos chevaux et nous-mêmes ce qui n’est pas un luxe car la poussière commence à nous envahir. Une grave question qui se pose dès notre arrivée est celle de la cuisine. Jusqu’à ce jour nous avons pu vivre avec les conserves emportées du Mans mais nos réserves sont maintenant épuisées.

![]() le tube sur le porte canon Ltn Desaulle | ![]() Le canon Rimailho vu de l'arrière; Ltn Desaulle | ![]() Le nettoyage; can Mourlon |
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![]() Le tir sous grand angle; mdl Bachelier | ![]() Cne Meckler | ![]() Canon Rimailho vu de côté; Ltn Teinturier |
![]() Démontage du tube du Rimailho; Lavit (MPLF octobre 1918), Desmons, Fougerolles, Guérin, Mourlon |
Nous sommes maintenant une dizaine d’officiers, ceux de la 1ère batterie et ceux de l’Etat-Major, qui mangeons ensemble et comme nous n’avons pas de cuisinier chacun met la main à la pâte. Afin que je puisse faire « revenir » convenablement l’oseille de nos soupes, Chavanne me fabrique avec son couteau une cuillère fort élégante. Je dois avouer que la première soupe confectionnée par moi, malgré les croutons dont j’essaye de l’orner, manque un peu de liant. Nous ne tardons pas à nous perfectionner et la collaboration de tous arrive à produire bientôt des résultats remarquables. Aidé d’un canonnier nous cuisinons bientôt d’une manière acceptable des poires cuites, des pommes au lard, un poulet rôti, voire même un lapin sauté mais le triomphe des triomphes est encore le café. En somme la nourriture est suffisante et personne ne se plaint, mais combien de temps cela va-t-il durer ? Nous serons probablement obligés de consommer bientôt de la viande de conserve appelée vulgairement « singe » et qui d’ailleurs est délicieuse. Il y a même en ce moment une autre ressource, la viande de cheval. Par suite d’accidents, chutes ou coups de pieds plusieurs de nos chevaux ont les membres cassés et nous sommes obligés de les abattre. La viande de ces animaux en excellente santé est très bonne mais cependant beaucoup d’hommes n’en veulent pas. Nos hommes sont d’ailleurs aussi embarrassés que nous pour la cuisine. Celle-ci doit être faite par pièce c'est-à-dire par groupe de 25 hommes, mais personne ne veut s’en occuper. Cet état d’esprit, fort heureusement, dure peu et chacun se hâte bientôt d’apporter sa contribution à l’œuvre culinaire. La première nuit du séjour à Woimbey nous nous installons, de Blois Chavane et moi, au bivouac avec nos hommes. La seconde nuit ayant trouvé un lit nous le partageons. De Blois et moi à cause de notre ancienneté avons droit à un matelas ; Chavane se contentant du sommier.
Dans l’après-midi du 12 août nous sommes rejoints par les sections de munitions du commandant Longepied. Le groupe est maintenant au complet mais nous n’avons toujours pas d’ordres. Les « canards » continuent à voler. Des combats sérieux ont eu lieu aux environs de Mangiennes entre les allemands et les troupes de notre 4ème corps, combats au cours desquels nous avons subi des pertes sensibles, en particulier le 130ème d’infanterie de Mayenne aurait été sérieusement éprouvé. Une batterie du 31ème d’artillerie (Batterie Assolant) aurait pris sous son feu une autre batterie française. Je crois que ces méprises se produiront souvent. Si nous n’avons pas d’ordres nous savons au moins que notre groupe ainsi qu’un groupe de 120 court du régiment sont mis à la disposition de la 3ème armée commandée par le général Ruffey et composée de la gauche à la droite du 4ème corps (Gal Boelle), du 5ème corps (Gal Brochin) et du 6ème corps (Gal Sarrail). Cette armée, en ce moment étendue en avant des Hauts de Meuse a son centre face à Metz. Son artillerie lourde comporte aussi également 2 groupes à tracteurs (120 et 155) du 4ème régiment d’artillerie lourde sous le commandement du colonel Beyel. C’est bien peu d’autant plus que le groupe de 120 court est plus encombrant qu’utile. Le canon de 120 court est une mauvaise pièce à cause de son manque de portée (5 600 mètres) de plus les canons du groupe en question sont en fort mauvais état et l’approvisionnement en munitions est incomplet. Ces munitions, à défaut de caissons, sont transportées dans des voitures de commerce réunies en colonnes légères que nous baptisons immédiatement « colonnes laitières. Ce groupe est vraiment piteux, le nôtre heureusement est bien meilleur. Notre canon malgré que sa portée soit encore un peu faible (6 200 mètres) lance à cette distance un redoutable obus en acier pesant 43 kg et contenant 10kg200 de mélinite. Les dégâts produits par l’explosion de ces obus sont terribles. J’ai pu m’en rendre compte l’année dernière aux écoles à feu auxquelles nous nous sommes livrés au camp de Coëtquidan et au cours desquelles j’ai vu pour la première fois tirer des obus en acier chargés de mélinite. Les plus grandes qualités de notre canon du au commandant Rimailho sont la précision, la rapidité du tir et la mobilité. Pour la précision elle est aux distances de 4 000 mètres de 2 à 3 mètres en direction et de 15 à 20 mètres en portée. La rapidité du tir peut facilement atteindre 5 coups par minute. Cette rapidité est due tout d’abord à ce que ce canon comme le canon de 75 est muni d’une crosse à bêche et d’un frein aéro-hydraulique limitant le recul et ramenant le canon en batterie. De plus l’ouverture de la culasse est automatique : lorsque le canon revient en batterie après avoir reculé sous l’effet de l’explosion de la poudre, la culasse suspendue aux deux tiges d’acier s’ouvre et reste en arrière. Pour le transport le tube du canon est séparé de son affut et est placé sur une voiture spéciale dite « porte canon ». Ce démontage ne demande que 3 minutes avec un personnel exercé. Le canon est ainsi rendu très mobile et nos batteries peuvent suivre l’artillerie de campagne dans tous ses déplacements. Notre approvisionnement es munitions de première ligne est important. Chaque batterie possède dans ses coffres 368 obus. La colonne légère affectée à chaque batterie en transporte 552 et la section munitions 800. Chaque batterie a donc sur le champ de bataille 1720 obus soit 86 tonnes de munitions, de quoi faire du bon travail. Quant aux groupes à tracteur (120 et 155) à cause de leur plus grande portée (9 à 10 km) ils rendront, je crois, de grands services.
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Le Rimailho
14 août : Au lever du jour l’ordre arrive de se porter plus au nord, à Dieue et Ancemont. A 7heures nous partons pour arriver à Dieue vers 9 heures. L’installation dans ce nouveau cantonnement est assez confortable puisque je peux me procurer un lit. Le village de Dieue n’a été occupé que par des troupes françaises, cependant le château est dans un état de grande saleté. Dans l’après-midi nous recevons notre chef de corps le lieutenant-colonel Peyronnel accompagné du capitaine Bisch et du lieutenant Dorenlot : nous devons lui fournir absolument tout, fourgons, chevaux et hommes cat il est arrivé les mains de les poches : notre impression est franchement mauvaise. Le soir le capitaine m’envoie faire une ronde au parc où sont nos canons. Le factionnaire à la première sommation me crie « halte là ou je fais feu » ! Je m’empresse naturellement d’obtempérer.
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15 août : Nous devons encore nous porter vers le nord et à 5 heures le groupe quitte son cantonnement. Grâce à la complaisance du curé nous pouvons à 4 heures du matin assister à la messe et communier. Dépassant Dugny et laissant Verdun à notre droite nous gagnons Charny, Bras et Vacherauville qui sera notre cantonnement.
Au bivouac à Vacherauville
![]() Ltn Chavane | ![]() | ![]() |
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16 août : Pas d’ordre nouveau, pas de nouvelles non plus. Quelques soldats d’un régiment territorial gardent une vague barricade construite sur la grand route. Des travaux de fortification sont établis sur la côte du Poivre. De l’autre côté de la Meuse on parait travailler assez activement au fort de Vacherauville mais en somme fort peu de choses nous rappellent qu’il y a la guerre.
17 août : Nous continuons à nous ennuyer cordialement toute la journée et nos seules occupations sont les corvées intérieures de la batterie : distributions, promenades de chevaux, abreuvoir, ce qui n’est pas très excitant. Comme dans Faust « nous regardons passer les bateaux » qui descendent sur le canal. Ce sont pour la plupart des péniches belges fuyant les allemands et chargées principalement de grains et de charbon. C’est autant que les allemands n’auront pas. Il y a même des péniches boches déclarées de bonne prise. En me promenant sur la route je rencontre mon camarade Louis Mongeard caporal dans un régiment de réserve du 4ème corps.
19 août : Je commence à croire et à penser qu’on nous a oubliés et à penser qu’il était inutile de déranger de braves gens de leurs occupations pour les laisser à ne rien faire. Mes hommes passent leurs journées à pêcher des fritures d’ablettes dans le canal. Quant à nous, en dehors des absorbantes occupations ci-dessus indiquées, nous mangeons. Notre popote, qui commence à prendre tournure est installée chez l’instituteur du lieu et, grâce à à la proximité de Verdun, convenablement ravitaillée.
Les divers éléments de l’armée continuent à passer sur la route, se dirigeant vers l’avant : sections de munitions d’infanterie et d’artillerie, convois de toutes sortes, autobus à viande, sections de parc, équipes de réparation, équipage de pont et même remonte mobile ! Décidément on ne veut pas de nous et notre place est à l’extrême arrière garde. On trouve sans doute notre groupe encombrant puisqu’il occupe 6 kilomètres lorsqu’il est en colonne sur la route. A un moment nous entendons le canon assez près. Le combat serait-il engagé ? Ce n’est encore qu’une fausse alerte, tout simplement des coups à blanc tirés par les forts de Verdun, sans doute pour l’instruction des réservistes.
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20 août : Pour occuper nos hommes le capitaine décide de faire exécuter le matin un exercice de service en campagne avec toute la batterie. Nous partons donc pour le moulin des Côtelettes en passant par Champneuville. Dans l’hypothèse de tirs à exécuter sur la région de Bras Charny la batterie va s’installer en arrière de la crête du Talo, presque au sommet. J’établis mon échelon à mi pente entre la batterie et la route et nous agissons comme au combat, les tirs exclus bien entendu. Pour voir si mes hommes connaissent bien leur consigne je signale tout à coup : « cavalerie à gauche ! ». Après avoir poussé le souci de la vraisemblance jusqu’à faire représenter réellement cette cavalerie par deux de mes gradés qui nous chargent à bonne allure. Chacun saute sur son mousqueton, s’embusque derrière son caisson, prêt à faire feu. Tout se passe correctement sauf pour un de mes servants le subtil Lagoutte qui croit que « c’est arrivé » et qui tremble de tous ses membres. Je ne crains pas qu’il tire car il ne sait même pas charger son fusil tellement il est maladroit. Je crois que les uhlans ne se frotteront pas à nous sans risques. Ce petit exercice terminé nous rentrons tranquillement dans notre cantonnement en attendant de faire un travail plus sérieux. Les renseignements sur la guerre commencent à nous parvenir. La menace allemande se dessine franchement par la Belgique et le mouvement de rocade que nous effectuons depuis le 14 correspond au déplacement de nos troupes vers le nord. Le 4ème corps avec son QG à Damvillers, le 5ème CA à Dieppe et le 6ème CA à Fresnes en Woëvre. Ces troupes sont maintenant face à la ligne Montmédy Longwy. Devant nous les allemands qui ont occupé les premiers jours de la mobilisation le bassin de Briey et poussé jusqu’à Mangiennes ont reculé mais à la date du 17 ils occupent encore la rive droite de l’Othain. 7 corps allemands traverseraient la Belgique. Une partie de ces troupes a traversé la Meuse à Huy mais le reste aurait échoué devant Dinan repoussé par une division de cavalerie française. Aujourd’hui l’Etat-major se complète d’un vétérinaire, d’ailleurs honoraire, puisqu’il n’a jamais fait autre chose que des arts d’agrément et en particulier de la musique et de la peinture. Il nous semble disposé à faire la guerre comme l’art vétérinaire c'est-à-dire en amateur cat il n’a ni cantine, ni armes, ni cheval ni quoi que ce soit et ne veut rien avoir. Au demeurant le meilleur homme du monde et pour les soins dont nos chevaux auront besoin il est assez savant.
Le soir on reçoit l’ordre d’aller le lendemain cantonner à Champneuville à 3 km d’ici. Vraiment on se moque !
​21 août : A 3h45 on vient me réveiller pour me dire que le groupe doit être rassemblé au parc à 4h30. En y arrivant j’apprends que nous sommes mis à la disposition du général commandant le 4ème CA dont le QG est à Virton en Belgique. Les allemands reculent donc, aussi lorsque l’ordre de départ arrive à 6h30 nous l’accueillons avec joie. Par Samogneux, Consevoye et Etraye nous arrivons à Domvillers où nous formons le parc pour la grand’halte à l’entrée du bourg. A Ettraye je rencontre mon camarade Tony Richard sous-lieutenant au 4ème escadron du train des équipages. Au cours de la grand’halte nous pouvons observer vers midi une éclipse partielle du soleil. Peu après nous repartons vers Penvillers, où je rencontre mon camarade de promotion Bourbon, pour Witarville où nous arrivons vers à 15heures. Le bivouac est formé au sud du village mais je ne couche pas au bivouac ayant trouvé un lit que je partage avec de Blois et Chavane. Nous étendons à terre les deux matelas et l’un de nous s’installe sur le sommier. Dans les chambres voisines, même installation pour les autres officiers de groupe. Nous nous amusons comme de vrais collégiens qui profitent de la fin de leurs vacances car je crois qu’il faudra bientôt « en découdre ». Le canon tonne assez fort du coté de Montmédy et de Longwy sans que nous puissions dire si le bruit se rapproche ou s’éloigne.
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​22 août : Rassemblés au parc dès 5 heures du matin nous ne recevons les ordres qu’à 10 heures. C’est à Marville qu’il faut aller maintenant en passant par DELUT ????? A Marville, ancienne ville forte sur l’Othain règne une assez grande activité. Il doit y avoir dans le bourg quelque quartier général car dans un pré un poste TSF dresse son antenne. Nous recevons à ce moment l’ordre d’aller à Longuyon sans trop savoir si c’est pour s’y battre ou pour ou pour cantonner mais notre tranquillité est telle que nous penchons plutôt pour la dernière hypothèse. Le groupe quitte donc Marville par une route invraisemblablement en pente et si je ne faisais pas retenir mes voitures et en particulier ma forge par des chasseurs à pied de bonne volonté je crois que tout culbuterait dans le fossé. Bientôt nous roulons tranquillement sur la route de Longuyon, dépassant le hameau du Petit Xivry sans penser à autre chose qu’au cantonnement du soir et je profite de ce calme pour tirer de ma sacoche un bifteck et un morceau de pain que je mets à dévorer à belles dents tout en laissant mon cheval marcher, les rênes sur l’encolure : ce sera mon déjeuner. Tout à coup assez près de nous une vive fusillade éclate probablement dirigée sur un avion allemand que nous voyons se promener dans le ciel. Réveillés par ce bruit nous sommes remis dans la réalité cruelle. La bataille doit être toute proche car en regardant du coté de Longuyon on voit dans le ciel les éclatements blancs des obus à balles de petit calibre. Les allemands sont donc si près ? Je n’ai que le temps d’enfermer entre ma tunique et ma chemise mon pain et mon bifteck inachevé, puis de saisir mes rênes et nous partons à vive allure dans les champs à droite de la route pour retrouver la route du Grand Failly. La batterie se met rapidement en position à l’est de la cote 306, l’échelon un peu en arrière et nous attendons. Cette fois vraiment la guerre est commencée pour nous et cependant vers 16 heures le bruit du canon parait s’éloigner. Les allemands ne doivent pas être très loin cependant car vers 17 heures un avion allemand vient encore nous rendre visite à assez basse altitude. Nous le saluons de plusieurs feux de salve dont il ne parait pas d’ailleurs s’émouvoir. Sur la route du Grand Failly passent les premiers blessés et quelques rares prisonniers allemands mais tout cela n’indique pas la tournure que prennent les évènements. Les blessés eux-mêmes qui n’ont vu que leur petit coin de champ de bataille ont certaine ment des idées très fausses sur l’ensemble de l situation aussi nous n’attachons pas trop d’importance à leurs propos pessimistes ou optimistes. La nuit nous surprend dans la même situation et nous nous installons, le capitaine, Chavane et moi le long d’un talus mais il fait un froid si vif que je ne peux ni dormir ni même rester couché. Je passe ma nuit à marcher de long en large. Heureusement je retrouve dans mon « garde-manger » mon pain et mon bifteck que j’achève : ce sera mon dîner, et c’est bien le cas de le dire « faire d’une pierre deux coups ».
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![]() carte 23 aout |
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Le 23 août au matin la situation parait assez calme mais dès 9 heures le combat s’engage sur toute la ligne. J’essaye de voir ce qui se passe vers le nord-est et je m’aperçois avec peine que nous allons nous trouver pour combattre dans une position très désavantageuse car le soleil est presque devant nous et empêche de voir quoique ce soit. Il est vrai que dans l’après-midi les rôles seront inversés mais comme il y a généralement lors des couchers de soleil moins de brume qu’aux levers les allemands ne seront pas gênés autant que nous. Notre mission consiste à surveiller le plateau des fermes de Bouillon et Martigny qu’on voit parfaitement de notre observatoire situé à la cote 306. A 13h30 nos troupes sont obligées d’évacuer le plateau au nord de la Chiers.

Dans l'attente du boche le 23 août
Le capitaine Meckler apercevant une batterie allemands en action fait ouvrir le feu mais la batterie est hors de portée et nous ne pouvons l’atteindre même à charge O. Après quinze coups tirés nous n’insistons pas : il semble même au capitaine que nos obus n’éclatent pas ce qui le plonge dans un désespoir que j’ai quelque peine à dissiper. Le mouvement de repli de nos troupes commencé par l’évacuation des plateaux au nord de la Chiers parait être général car de tous côtés et en particulier dans le ravin de Lannois nous apercevons des troupes se dirigeant vers l’arrière, d’ailleurs dans le plus grand ordre et par unités complètes. Assis sur un tas de gerbes de blé et luttant de toutes mes forces contre le sommeil qui me gagne, car je ne dois pas dormir, je regarde la bataille en essayant d’interpréter dans un sens favorable tout ce que je vois, mais je suis obligé de me rendre à l’évidence : nous battons en retraite, ce qui ne m’empêche pas d’ailleurs d’avoir confiance et de communiquer cette confiance à mes camarades et à mes hommes. Je suis persuadé que ce mouvement de retraite est purement local et que le sort de la bataille se décide autre part, en notre faveur naturellement. Ce qui m’incite à penser ainsi c’est que les 2 généraux en qui nous avons le plus confiance Foch et P ??? ne sont pas dans notre région. Notre armée ne doit donc pas jouer le rôle principal. J’ai cependant pris mes précautions pour le cas, peu probable d’ailleurs, où les allemands exploitant rapidement leur succès viendraient pour nous surprendre. J’envoie plusieurs cavaliers patrouiller à 1 km en avant de nous et je donne l’ordre à mes servants de ne pas quitter leurs mousquetons. Pendant que le combat se déroule avec violence de tous côtés, des paysans viennent pacifiquement ramasser leurs récoltes sur le plateau où nous sommes. A 17heure, ordre de repli. Le groupe doit quitter ses positions et s’établir au bivouac à la sortie est du Grand Failly. Le mouvement s’effectue aussitôt mais à peine le parc est-il formé qu’un nouvel ordre nous fait retourner à la cote 306 d’où nous venons. Le mouvement s’exécute en pleine nuit, mouvement critiquable puisque les allemands ont, parait-il, franchie la Chiers. A peine le parc est-il formé le long de la route à l’ouest de la cote 306 qu’un troisième ordre nous fait redescendre au Grand Faiilly à l’emplacement précédemment occupé. A 23 heures peut-être nous pourrons nous allonger sur le sol, harassés, le ventre creux. Je n'ai rien mangé depuis 48 heures à part mon bifteck et mon trognon de pain qu’une demi-assiette de soupe et un morceau de pain gros comme le poing.
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​24 août : De bonne heure nous quittons le bivouac de Grand Failly et par le chemin de terre nous reprenons le chemin de la cote 306. Chemin faisant je reçois l’ordre de faire demi-tour avec les 3 échelons du groupe et d’aller m’établir de Sorbé Vaux au nord du Grand Failly. Pendant que j’effectue ce mouvement, les batteries traversant le plateau vont s’établir à la tête du ravin où j’ai formé mes échelons. Etant donné les positions que nous occupons aujourd’hui le mouvement de repli de la veille ne parait pas avoir eu une grande amplitude et cette constatation nous remet en confiance. Bientôt l’ordre nous arrive de battre Longuyon et ses abords, Noers, Colmey et le pont sur la Chiers ainsi que la ferme Wachemont. Les 3 batteries ouvrent sur leurs objectifs un feu violent, la 1 ère batterie tirant à elle seul 450 coups. Etant donné que je suis au fond du ravin et mes batteries tout en haut j’ai fort à faire pour alimenter mes dévoreurs d’obus. Toutes les 5 minutes le capitaine du haut de sa falaise me crie : « 4 caissons de suite ». « Boum, voilà ! ». Mais malgré que la colonne légère tout près à Grand Failly et m’envoie ses caissons par 8 à la fois, je n’arrive pas à transvaser les obus de ses coffres dans les miens aussi pour ne pas interrompre le feu je suis obligé d’envoyer directement à la batterie les caissons de la colonne légère, mais cette initiative m’attire de la part du commandant d’injustes reproches. Cela ne m’empêchera pas d’ailleurs de recommencer à la prochaine occasion car j’estime que le point important est avant tout de titrer. Cette avalanche d’obus ne semble pas être du gout de ces messieurs d’en face car ils nous envoient une protestation sous forme d’obus de 77 fusants qui éclatent heureusement un peu haut. C’est notre baptême du feu, bien anodin sans doute mais cependant je suis bien obligé d’avouer que ce début me cause une impression désagréable. Malgré que les balles de shrapnells viennent frapper sans force contre nos caissons je pense en moi-même que je serais mieux ailleurs. Mes hommes cependant absorbés par les manipulations de munitions restent calmes, mails il commencent à être bien las et je suis bien souvent obligé de les exciter de la voix et du geste, ce qui ne m’empêche pas d’ailleurs de mettre moi-même la main à la pâte. Si le tir allemand est pour nous sans danger il n’en est pas de même pour un groupe du 45ème d’artillerie en batterie en avant de nous. Notre médecin major, aidé des brancardiers, ramasse 3 blessés de ce groupe et leur prodigue ses soins. L’un d’eux est sérieusement touché aux reins et me parait assez mal en point.
La situation s’aggrave d’ailleurs et à midi l’ordre de repli nous arrive. Ce mouvement malgré l’étroitesse du chemin et l’accompagnement de 77 fusants qui ne cesse pas se fait dans le plus grand calme mais je ne commence à être tranquille que lorsque la route est atteinte, car je crains dans un ravin aussi encaissé les conséquences du moindre désordre. La traversée de Grand Failly déjà presque vide et le passage du pont de l’Othain situé à l’ouest du village s’effectuent sans incident ainsi que la montée de la côte 274. Je rencontre des éléments d’artillerie de campagne en désordre. Sur un avant train git un chef d’escadron blessé. J’aperçois à ce moment un de mes camarades de promotion nommé Thomas (Mort plus tard au champ d’honneur) , lieutenant au 45ème d’artillerie, monté sur un cheval de troupe et qui m’explique d’un air bien découragé que son groupe a été dispersé et qu’il ne sait plus où aller. Nous nous quittons cependant car je suis obligé de m’occuper de ma batterie qui se met en position au sud-est de la côte 274 entre le bois du Grand Failly et la route Saint Laurent-Marville pour protéger la retraite. Au bout de 2 heures environ n’ayant pas tiré nous reprenons la route de Dombras et formons le parc à l’entrée du village pour pouvoir abreuver nos chevaux qui n’ont rien pris depuis la veille. Le groupe se dirige alors sur la Fontaine de Merles où il s’installe en bivouac. En traversant Dombras je rencontre avec beaucoup de plaisir Maxime Lerousseau (Mort au champ d’honneur en 1918) pointeur au 45ème d’artillerie. Nous sommes si heureux de cette rencontre que nous ne pouvons résister au plaisir de bavarder un peu malgré que ni lui ni moi n’ayons beaucoup de temps. Au bivouac de Merles nous pouvons enfin faire la soupe : ce sera le seul repas de la journée et des deux dernières journées. La nuit est déjà tombée, mais avant de songer à me reposer un peu il faut que je fasse le plein de mes coffres. Il doit me manquer environ 80 coups. Justement le lieutenant Alémandi des sections de munitions m’amène vers 8 heures quelques chariots. Le sous-chef Cario et moi, armés chacun d’une lanterne nous essayons de rassembler quelques hommes pour le transbordement de ces obus mais ces pauvres gens sont si harassés que nous n’arrivons pas à les réveiller. Et pourtant aidés de notre lanterne, nous tachons de nous adresser aux plus courageux, à ceux en qui nous avons toute confiance, mais en vain. A peine l’un d’eux est-il mis de force sur ses pieds qu’il est de nouveau allongé pendant que nous réveillons son voisin. Le sommeil est plus fort que leur bonne volonté et je suis obligé, après les avoir mis debout, de les conduire au chariot en les tenant par le bras mais sous le poids de l’obus de 43 kg ils s’effondrent et s’endorment à côté. Bien que n’ayant que 80 obus à transporter et disposant pour cela de plus de 100 hommes mon chargement ne se termine pas beaucoup avant minuit. Je m’étends alors sur le sol, roulé dans mon manteau, pour tâcher de me reposer un peu après cette journée bien remplie, en me demandant ce que le lendemain nous réserve.
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25 août : A la pointe du jour, vers 3 heures 30 du matin nous recevons l’ordre de rependre par Dombras la direction du Grand Failly et de nous établir en position à la lisière nord est du bois. Nous ne savons que penser de cet ordre qui nous met en grand danger d’être pris si l’ennemi occupe comme on nous l’a dit le village du Grand Failly. Le groupe part cependant, les 3 échelons sous mon commandement derrière les batteries. En arrivant à Dombras, le commandant qui se méfie de la position qu’on lui assigne me donne l’ordre d’arrêter mon échelon à la lisère sud du bois. D’après ce que je vois il ne doit pas faire bon en avant du bois car sur le côté gauche de la route passent, se dirigeant vers Dombras, des débris de plusieurs batteries du 45ème d’artillerie, des chevaux avec les traits coupés, des avant trains sans canons. Je m’arrête donc d’après mes ordres à l’orée du bois et j’y suis depuis quelques minutes lorsque m’arrive un nouvel ordre du commandant : « Faites un à gauche et, en contournant le bois du Grand Failly, rapprochez-vous le plus possible de Rupt sur Orthain vers lequel les batteries se dirigent ». Pour obéir à cet ordre faut-il suivre en plein champ la lisère du bois ou, au contraire, reprendre la route et passer par Delut et Dombras ? Après avoir discuté avec Millot le pour et le contre de ces deux solutions je m’arrête à la dernière et exécute mon demi-tour. Bien m’en a pris d’agir ainsi car à peine nous avons fait 200 mètres qu’un capitaine d’Etat-major galopant sur le haut du talus qui borde la route me crie de prendre le trot pour dégager au plus vite l’entrée du bois et permettre à l’artillerie, attaquée par l’infanterie allemande, de se replier. Déjà la fusillade crépite derrière nous et je comprends que l’instant est critique, malheureusement je ne peux obéir à cet ordre : le côté de la route est occupé par une colonne d’artillerie qui monte vers le bois et qui est d’ailleurs obligée de faire demi-tour, comme nous, avant d’atteindre la lisière du bois. De plus le chemin est étroit et le côté droit encombré de tas de cailloux sur lesquels passent comme sur des montagnes russes les roues droites de mes voitures. Prendre le trot dans ces conditions c’est courir à un accident certain et à un embouteillage total de la route, aussi, malgré la véhémence de l’officier d’Etat-major, je me contente de faire presser l’allure autant qu’il est possible. D’ailleurs le village de Dombras est tout proche. En y arrivant je fais ranger un peu brutalement à gauche la tête du groupe des colonnes légères qui allait m’empêcher de passer et je fonce à toute allure sur Delut par Dimbrey. Sur la droite dans le bois la fusillade est très vive et les balles nous sifflent aux oreilles. Il semble que les allemands aient pénétré dans le bois de Grand-Failly et dans ces conditions il y a tout lieu de penser que le groupe n’a pas eu le temps de se replier et s’est fait prendre. Je fais part de mes inquiétudes à Millot et je m’aperçois que je ne suis pas suivi par l’échelon de la 3ème batterie commandé par Maze. Je ne suis d’ailleurs pas inquiet sur son sort puisqu’il est certainement arrivé à Dombras, mais j’envoie cependant à sa recherche le vaguemestre Moreau que je rencontre sur la route. Je ne veux cependant pas abandonner la mission qui m’a été confiée avant d’être sûr que le groupe n’est pas réellement à Rupt sur Othain mais avant de me diriger vers ce village je m’informe auprès des fantassins sur la situation. Les renseignements sont assez contradictoires et surtout très décourageants, aussi je ne sais trop que faire lorsque j’aperçois le colonel Chassot du 8ème Chasseurs en tête de son régiment et quoi parait venir de la direction de Rupt. Malgré que ce brave colonel soit sourd comme un pot j’arrive à lui faire entendre que je désirerais savoir s’il est possible d’aller à Rupt : « N’y allez pas, me dit-il, j’en viens et j’ai été reçu à coups de fusils ». Sur ce renseignement je me décide à me replier, tout au moins au-delà de Witarville, lorsque le vaguemestre Moreau de retour de Dombras m’apprend que le commandant se dirige avec le groupe sur Dombras où je dois aller le rejoindre. Je m’empresse donc de prendre la direction de Witarville, d’autant plus vite que la situation commence à devenir critique. Il n’y a pour ainsi dire plus d’infanterie et le 8ème régiment de chasseurs à cheval massé derrière le bois entre Delut et Dombras s’apprête à couvrir la retraite. Les braves chasseurs qui se souviennent de Reichoffen voient le moment venu de se sacrifier pour sauver l’armée et j’ai l’impression bien nette que du premier jusqu’au dernier ils sont prêts à accomplir ce sacrifice. Beaucoup d’ailleurs en prévision de ce sacrifice jettent aux fantassins qui passent leur tabac, leur pain, leurs boites de conserves : » Prenez tout cela les bobosses (fantassins), on n’a plus besoin de rien nous autres, puisqu’on va se faire zigouiller ! ». Dans Witarville l’exode des paysans commence, lamentable. Les pauvres gens chargent à la hâte sur leurs grandes voitures lorraines attelées de chevaux ou de vaches ce qu’ils ont de plus précieux et lorsque les voitures sont bien pleines on y hisse encore à la force des poignets les vieillards et les enfants. A la sortie de Witarville je rencontre le médecin major Grall, attaché au ministère de la guerre et avec qui j’ai été en rapport il y a quelques mois. Il commande également une ambulance du 5ème CA qui se replie. Je rencontre également un dessinateur de l’usine nommé Marbache et qui est brigadier au 4ème lourd.
Cette fois c’est bien la retraite dans toute son horreur. Les conducteurs avec leurs chevaux, les traits coupés, galopent sans savoir pourquoi et sans savoir où ils vont ; des chevaux sans cavaliers errent à l’aventure. Nous en arrêtons un au passage, appartenant au 45ème d’artillerie et après l’avoir baptisé Damvillers nous l’incorporons. Des fantassins isolés appartenant à des régiments du 4ème corps, au 101ème en particulier, passent sur la route, harassés et quelques-uns blessés. Ils ne savent d’ailleurs où ils vont. Puis je vois s’avancer vers moi tout seul un adjudant du 101ème portant sur l’épaule le drapeau du régiment enveloppé dans sa gain. Comme je m’étonne de le voir seul, sans escorte : « je ne suis pas le porte-drapeau me dit-il. J’ai trouvé le drapeau de mon régiment abandonné le long du parapet d’un pont, je l’ai ramassé et me voici ! C’est bien triste mon lieutenant de voir des choses pareilles et de n’avoir personne avec soi ! » Ému de sa triste situation je me mets au travers de la route pour arrêter les trainards et quand j’en ai ramassé une trentaine je les confie au porte drapeau pour l’aider à assurer la garde de son dépôt sacré. Tous obéissent sans murmurer sauf un caporal de je ne sais quel régiment qui émet la prétention de s’en aller, mais comme je le menace de lui casser froidement la tête il n’insiste pas. Il est à ce moment à peu près 10 heures du matin et mes hommes sont à jeun depuis la veille au soir, aussi je me décide à former le parc à l’entrée de Damvillers et d’y attendre le commandant. Hommes et chevaux pendant ce temps font un repas sommaire et pour ma part je m’efforce de mettre un peu d’ordre dans la retraite. Je harangue les fantassins démoralisés qui passent sur la route et j’ai la joie de voir qu’ils m’écoutent lorsque je leur dis toutes nos raisons d’espérer. Je les interroge aussi pour avoir quelques renseignements sur la physionomie du combat : leurs dires sont identiques ; aucun n’a vu un soldat allemand ; quant à l’artillerie de campagne elle est inefficace : les obus à balles tirés trop haut sont sans effet, par contre les obus explosifs de l’artillerie lourde sont sinon très dangereux, du moins très démoralisants. Le plus dangereux ce sont les mitrailleuses. Un de ces soldats a reçu deux balles dans son képi, un autre une balle dans sa cartouchière, un autre deux éclats d’obus au bras qui ne lui ont fait aucune blessure. Vers 11 heures 15 alors que tout le monde est à peine restauré nous repartons. La traversée de Damvillers encombrée de troupes est interminable et je ne sais pas trop où je vais lorsque j’aperçois le vaguemestre Moreau qui m’apprend que le commandant est parti avec le groupe pour Romagne sous les Côtes. Je ne suis que à 5 km de ce village et je mettrai cependant près de 7 heures pour l’atteindre tellement les routes sont encombrées. Le 45ème d’artillerie et le 13ème d’artillerie montent par la même route que moi au milieu de la plus grande confusion car personne ne cherche à maintenir l’ordre. C’est à qui passera devant l’autre au risque d’augmenter le désordre et d’amener des encombrements. Pour comble le 4ème lourd et le 8ème Chasseurs descendent en sens inverse. Au carrefour de la route de Gibercy je rencontre une vieille connaissance le commandant Hertz du 31ème d’artillerie et adjoint au colonel Beyel du 4ème lourd. L’encombrement en ce point de la route est affreux. Je tiens naturellement la droite de la route et la gauche est occupée par des voitures de munitions d’infanterie et de tout ce monde personne ne peut ni avancer ni reculer. Au milieu de tout cela, un régiment d’infanterie, le 67ème, monte, les hommes se faufilant entre les voitures. Cherchant à améliorer cette situation intenable je m’aperçois qu’un mouvement très simple de quelques voitures à munitions d’infanterie trancherait immédiatement le nœud gordien, permettant à tout le monde de passe. Apercevant un chef de bataillon d’infanterie qui affalé sur son cheval regarde d’un air indifférent ce désordre : « Mon commandant, lui dis-je, votre régiment se fatigue à se laminer ainsi entre les voiture, moi-même je suis arrêté, personne ne peut ni avancer ni reculer ; vous pourriez peut être faire ranger dans le champ deux de ces voitures. - Elles ne sont pas à vous ! et bien, elles ne sont pas à moi non plus et je vais vous montrer comment je vais les faire ranger » A ces mots, piquant des deux éperons mon grand cheval je me précipite sur les attelages des deux voitures et avant que les conducteurs ahuris se soient rendus compte de ce qui leur tombe dessus les voitures sont rangées et la route libérée. A Romagne sous les Côtes où j’arrive peu après je retrouve la batterie en position entre le village et la crête, bien placée donc pour recevoir tous les coups longs destinés au village et tous les coups courts destinés à la crête. Cette position a d’ailleurs été imposée au capitaine par le colonel. Ce dernier apercevant Chavane lui dit : « Et bien lieutenant, comment trouvez-vous cette position ? – Pas mal, mon colonel, pour être assassiné ! » Lui répond froidement Chavane.
Mon arrivée est saluée par des exclamations de surprise. Tout le monde me croit mort ou pour le moins prisonnier et Comdlot ??? me remplace déjà à la batterie avec 8 caissons de son unité. Au moment où j’arrive la batterie se prépare d’ailleurs pour un nouveau repli car le mouvement de retraite n’est malheureusement pas arrêté ! Les habitants de Romagne abandonnent le village et ouvrent aux soldats leurs poulaillers, leurs clapiers et leurs caves, dans lesquelles nous puisons largement. A 18h30 nous partons nous rassembler en formation de parc à l’ouest de la route entre le bois Bochet et Azannes. Quelle est au juste la situation de l’armée ? Nous n’en savons rien. Il parait cependant que nous sommes gardés à droite par toute la 40ème DI qui occupe en particulier Azannes. Ce renseignement devrait nous tranquilliser mais, d’une part, nous savons avec quelle rapidité disparaît l’infanterie et, d’autre part, l’adjudant Lemasson parti avec quelques hommes à la corvée d’eau à la ferme des Raises revient en nous disant que la route est la ligne des grand-gardes et que par conséquent notre position est bien en l’air. Le capitaine Meckler a d’ailleurs pris le parti d’aller demander des renseignements à la 40ème DI à Azannes mais lorsqu’il arrive dans le village il le trouve silencieux et plongé dans l’obscurité la plus complète. Pas un soldat, pas un habitant dans les maisons. A la mairie cependant un peu de lumière filtre à travers les volets. Le capitaine entre et trouve un lieutenant d’une compagnie de chasseurs cyclistes trinquant avec l’instituteur. Le lieutenant apprend alors au capitaine à son grand étonnement qu’il n’y a aux environs d’Azannes aucune troupe d’infanterie sauf sa section qui occupe le village jusqu’à 2 heures du matin. Les bois de Gremilly sont occupés par l’ennemi et les chasseurs viennent d’y tuer 2 uhlans. Le capitaine revient au parc en toute hâte et nous rassemble pour nous apprendre ces nouvelles. Notre opinion est unanime : malgré que nous n’ayons pas d’ordre il faut se replier dans la direction de Mairey. Voilà la deuxième fois dans la journée que nous manquons de tomber aux mains des boches et cela suffit, mais comme il est 22 heures et que le danger n’est pas immédiat nous décidons de ne partir qu’à 123 heures pour donner aux hommes et aux chevaux le temps de manger un peu ce qui ne leur est pas arrivé depuis 10 heures du matin. Pour comble de malheur une petite pluie fine commence à tomber. Nous expédions rapidement notre diner frugal puisque le plat de résistance est une boite de sardines et nous prenons la direction de Mairey derrière une longue colonne d’autobus dont les phares éclairent la route. Tout le paysage est d’ailleurs illuminé par les feux de bivouac comme pour un jour de fête et je me souviens avec une certaine amertume qu’aujourd’hui, 25 aout, fête de la Saint Louis, il y a grandes eaux à Versailles et illuminations ! La cote de Romagne sont couvertes de feux de bivouacs car on a groupé là des forces importantes d’artillerie et d’infanterie. Tout ce monde se repliera d’ailleurs dans la nuit car ces hauteurs découvertes sur la droite ne sont pas défendables. A l’est, des villages, Billy et Mangiennes probablement brulent sinistrement en éclairant le ciel d’énormes lueurs rouges. Après une marche très lente et qui nous parait interminable tellement nous sommes éreintés le groupe s’arrête à l’est de Moirey le long de la route. Il ne faut pas songer à entrer dans les champs car le sol en est beaucoup trop meuble. Nous sommes tous absolument épuisés et dans un état tel que le capitaine n’arrive pas à faire ranger la batterie sur le côté de la route. Il est obligé de faire ranger les voitures une par une en se plaçant lui-même à la tête des chevaux. Il est plus de minuit lorsque nous nous affalons, privés de sentiments, sur le bas-côté de la route accablés de fatigue et incapables de faire un pas de plus. Notre état de dépression est tel que nous serions je crois dans l’impossibilité absolue de repartir. Chavane, fou de fatigue, s’en va à travers champs en brandissant son revolver.
26 août : L’humidité est si grande et le froid si vif que nous n’arrivons pas à dormir, mais notre état d’inconscience est tel que nous ne nous apercevons pas qu’il pleut. A 4 heures du matin je reprends un peu notion du monde extérieur et m’aperçois que je me suis couché les pieds dans un fossé plein d’eau. Au petit jour départ pour Moirey où nous formons le parc dans l’espoir de nous restaurer un peu, et de fait, installés bientôt, mes camarades et moi dans une maison, nous y faisons un confortable repas. Les gens du village, qui se préparent à partir nous donnent tout ce que nous voulons. Beaucoup d’entre eux d’ailleurs ont déjà quitté le village abandonnant dans les écuries les bestiaux qu’ils n’ont pu emmener. Les malheureuses vaches qui n’ont pas été traites depuis longtemps et qui n’ont rien à manger meuglent lamentablement. Mes hommes en ont pitié et leur portent un peu de fourrage mais le mieux serait que nous puissions emmener tous ces animaux avec nous. Malheureusement la gendarmerie s’y oppose sous prétexte que seule l’intendance a le droit de réquisitionner le bétail. Les allemands dans quelques jours s’arrogeront bien ce droit de « réquisition » pour notre malheur et malgré les gendarmes. Pendant le déjeuner je raconte au capitaine les péripéties de ma journée d’hier et j’apprends de lui ce qui arriva au groupe devant Dombras. Les trois batteries de tir venant de déboucher du bois reçoivent du colonel l’ordre de se mettre en batterie dans la direction de Grand Fouilly. Connaissant la situation le capitaine s’indigne de cet ordre et fait remarquer au colonel le danger de la position, car nous ne sommes pas aussi mobiles que l’artillerie de campagne et surtout beaucoup plus vulnérables : « Si vous m’en donnez l’ordre, dit-il au colonel, je me mets en batterie mais c’est criminel ». Le colonel alors n’insiste pas et, s’en allant, donne l’ordre de rester en bataille face à l’ennemi et d’attendre ses ordres. A ce moment débouche de la crête au galop de charge un escadron de chasseurs poursuivi par la fusillade toute proche. Plusieurs cavaliers tombent. Le capitaine ne veut pas se décider à partir puisqu’il a reçu l’ordre de rester, mais voyant que les deux autres batteries qui ont sans doute reçu des ordres du colonel sont parties il se décide à imiter leur exemple. Le mouvement s’exécute à vive allure et il est grand temps car les balles sifflent de tous côtés cassant des branches dans le bois. Le groupe traverse le Loison à Dombras, se met pendant quelques instants en batterie au sud du village, sans tirer d’ailleurs et se replie ensuit sur Romagne sous les Cotes.
Depuis hier nous sommes sous les ordres directs du général Herr commandant le 6ème CA, le général Sarrail ayant pris le commandement de la 3ème armée à la place du Gal Ruffey renvoyé à l’arrière. De même le Gal Brochin commandant le 5ème CA a été renvoyé à l’arrière et remplacé par le Gal Micheler (Mort au champ d’honneur).
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![]() carte 26 août |
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Notre repos à Moirey devait être de courte durée car il est à peine 6 heures du matin l’ordre de nous rendre à Septsarges.
D’après l’ordre que nous recevons je comprends que la rive droite de la Meuse va être abandonnée sans combat et que nous allons nous fortifier sue la rive gauche, ce qui me parait en effet la seule solution logique. Lorsque nous aurons entre les allemands et nous le redoutable rempart de la Meuse, car j’espère qu’on fera sauter les ponts, on pourra tenir. Notre déplacement commencé vers 6heures du matin s’effectue dans des conditions fort pénibles car la route est extrêmement mauvaise et fort encombrée de troupes de toutes espèces et aussi de convois de civils qui, abandonnant leurs villages cherchent comme nous la protection de la rivière. L’exode de ces pauvres gens est vraiment lamentable. Sur de longues voitures lorraines qui ressemblent plutôt à 2 échelles posées sur 4 roues qu’à une voiture ; on charge d’abord du fourrage et du grain puis, par-dessus ce qu’on a de plus précieux, meubles ou objets les plus hétéroclites et lorsque la voiture est chargée à refus on y hisse à force de bras les pauvres vieux qui ne peuvent plus marcher et les enfants trop jeunes. Les adultes, l’air sombre et découragé, suivent la voiture ; les vieux pleurent silencieusement et les enfants rient de tout leur cœur. Heureuse insouciance du jeune âge ! Tout ce qui les entoure est nouveau pour eux et ils n’en voient que le côté plaisant. Dans tous les villages où nous passons, à Flabas, à Hautmont les mêmes tristes spectacles reproduisent. A partir de ce dernier village la route devient terriblement mauvaise et descend en pente si rapide que nous devons retenir certaines voitures avec des cordes. Par Samogneux, Brabant, Consevoye, et Gercourt nous atteignons en Septsarges à 13 heures sans autre incident que quelques coups de mousqueton tirés sur un avion allemand qui vient insolemment nous survoler à basse altitude comme nous arrivons à Consenvoye.
![]() carte 27 août |
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Pour comble de malheur le temps se gâte tout à fait et la pluie tombe à verse. Le village des Septsarges est littéralement bondé de troupes de toutes armes. Il y a dans ce malheureux village un régiment d’infanterie, 2 groupes du 30ème d’artillerie et 4 groupes du 45ème. Nous trouvons cependant un pré pour former le parc et un réduit sans fenêtres, ancienne étable ou porcherie longue de 4 mètres et large de 3, dans lequel les officiers du groupe s’entassent. Les deux autres batteries du groupe nous rejoignent d’ailleurs assez tard vers 21h30 cat elles ont dû rester en batterie sur la rive gauche près de la route de Gercourt pour protéger le repli du 6ème corps sur la rive gauche de la Meuse jusqu’à la rupture du pont de Consenvoye.
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​27 août : Malgré notre installation plus que précaire nous dormons tout de même car nous sommes vraiment harassés. La matinée se passe d’ailleurs sans incident et ce n’est qu’à 13 heures que nous recevons l’ordre de partir pour Nantillois où nous arrivons vers 13h30. Dans l’après-midi nous apercevons enfin 2 avions français, les premiers ! Ils vont atterrir un peu au nord de Montfaucon assez près de nous. Chavanne et moi nous nous précipitons pour voir de plus près ces oiseaux de bon augure. Ce sont des biplans Maurice Farmann pilotés l’un par le sergent de Donckheer, l’autre par le sergent Maire. Ce dernier a eu l’honneur d’être descendu par les boches la veille de la déclaration de guerre et en territoire français entre Saint Ail et Battily. Il a pu s’échapper par miracle en laissant naturellement son appareil aux mains de l’ennemi. J’apprends de lui des nouvelles sensationnelles qu’il a vues affichées à la porte de la préfecture de Verdun. Les russes seraient à 90 km de Berlin et une grande victoire navale aurait été emportée dans la Baltique par les flottes alliées. Celles-ci auraient perdu 51 navires mais la flotte allemande serait anéantie. Pas un instant nous ne mettons en doute ces informations mirifiques et nous nous empressons de les colporter partout. A 16 heures les 3 batteries reçoivent l’ordre d’aller prendre position pour défendre les passages de la Meuse. Le commandant va reconnaître des positions pour battre les ponts de Dun sur Meuse, Lion, Vilosnes et Sivry. La soirée se passe cependant sans que le mouvement ne s’exécute et nous pouvons dîner tranquillement et, cela fait, nous étendre sur le plancher d’une salle de la mairie de Nantillois.
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28 août : A 1h30 du matin la 2ème et la 3ème batterie quittent Nantillois et se portent au nord pour occuper des positions aux environs de Villers devant Dun. Notre batterie ne part qu’à 3 heures pour aller se mettre en position devant le ravineau de Bonne Fontaine avec mission de battre les passages de la Meuse de Vilosnes à Sivry. Nous nous installons tranquillement et profitons de ce calme pour creuser autour de nos pièces de petites tranchées-abris qui pourront nous protéger des éclats. Pour la première fois aussi nous essayons le camouflage de la batterie en créant autour d’elle un bois artificiel au moyen de petits baliveaux coupés dans le bois voisin et plantés en terre.
La journée se passe sans incident notable, les allemands faisant montre devant nous d’une complète inertie. Pas de canonnade, pas de fusillade. Le calme règne mais nous avons l’impression cependant que cela ne durera guère et que le silence sera bientôt rompu. La confiance d’ailleurs est totale car nos positions nous semblent inexpugnables, d’autant plus que la Meuse, grossie par les dernières pluies, est un rempart naturel presque infranchissable sous le feu des hauteurs de la rive gauche. D’ailleurs nous sommes fortifiés dans cette croyance par un nouvelle que nous apporte dans l’après-midi un officier de l’Etat-major : les allemands ayant essayé de passer la Meuse à Stenay ont été rejetés après un vif combat au cours duquel ils ont laissé entre nos mains un régiment complet avec colonel et drapeau. Comme il est probable que nous allons passer la nuit sur place, nous nous mettons en devoir de construire à la lisière du bois quelques gourbis mais nous sommes encore bien novices dans cet art et notre travail est informe. Devant nous, sur la crête, vient s’installer un groupe du 45ème d’artillerie, groupe qui doit d’ailleurs se replier sans tirer en cas d’attaque trop violente. En apprenant cela le capitaine estime qu’il doit lui aussi prendre quelques précautions et me donne l’ordre de retourner à Nantillois avec la colonne légère du capitaine Barbier. Je forme donc le parc à la sortie sud est de Nantillois et je me couche sous le chariot de batterie, regrettant bien mon gourbi de la position malgré son peu de confort.
![]() En batterie le 28 août | ![]() En batterie le 28 août |
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29 août : La nuit se passe sans incidents et au petit jour nous sommes tous debout, battant la semelle pour nous réchauffer un peu. Vers 4h30 le colonel nous explique en passant que notre position n’est pas défendable, qu’il est probable que nous allons l’abandonner aussi donne-t-il au capitaine Barbier l’ordre d’emmener sa colonne légère à Fléville sur la route de Varennes à Grandpré. Je suis consterné de cet ordre auquel je ne comprends rien. Si la position que nous occupons est indéfendable sur quelle ligne espérons nous donc pouvoir résister ? Quant à moi, ayant reçu du capitaine l’ordre de le rejoindre je vais placer mon échelon à l’ouest de la route tout près de la Fontaine. Aucune attaque ne se dessine encore. Je profite de ces quelques minutes de tranquillité pour examiner ma section. Mes pauvres chevaux sont dans un état lamentable : ces malheureuses bêtes ont leur harnachement sur le dos depuis le départ de Coulaines de plus elles n’ont pas été dételées depuis notre départ de Vacherauville. De plus beaucoup de nos juments qui sont pleines avortent sous l’effet de la fatigue et beaucoup mourront des suites de ces accidents. A 10 heures cependant le capitaine me donne l’ordre de faire demi-tour avec mon échelon, de prendre avec moi les affuts et porte canons des 3ème et 4ème pièces et d’aller m’établir sur la route de Nantillois à Cierges au carrefour de la route de Cunel. Je commence mon mouvement mais l’interromps aussitôt car un peu avant 11 heures le colonel du 67ème d’infanterie qui commande notre secteur nous informe que l’attaque ennemie n’est pas encore déclenchée. Il nous fera connaître quand nous devrons tirer, sur quoi nous devrons tirer et quand nous pourrons nous replier. Il nous apprend en même temps que nos troupes ont remporté un avantage décisif au nord de Nancy. Le soir à 19 heures le capitaine me renvoie avec mon échelon à Nantillois et vient m’y rejoindre quelques instant après avec toute la batterie, mais pas pour longtemps car le colonel nous renvoie l’ordre de retourner à la position, ce que nous faisons immédiatement. Au moment où nous nous mettons en position l’avant train du chariot de batterie verse dans un tournant trop court et l’un des servants qui se trouve sur le coffre a un pied si maltraité que nous devons l’évacuer. De plus comme la lunette de crosse de l’arrière train n’est pas articulée, le timon de la voiture est soumis à un tel effort de torsion qu’il se brise en se transformant en un paquet de filaments sans cohésion. N’ayant aucun moyen de réparer cette pièce je la ligature comme une vulgaire canne à pêche avec plusieurs cordes à fourrage et j’obtiens tout de même un résultat assez satisfaisant, mais je me demande avec anxiété combien de temps va durer cette réparation de fortune.
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​30 août : Si la situation est calme de côté il n’en n’est pas de même au nord : les allemands essaient de passer la Meuse au nord de Dun mais le 4ème corps résiste vigoureusement. A peine en position nous commençons à tirer sur les ports de Vilosnes et de Sivry ainsi que sur les routes avoisinantes par cous espacés et à cadence irrégulière. Les servants sont si harassés qu’ils trouvent le moyen de dormir entre deux coups de canon. Toutes les 2, 3 ou 4 minutes le commandant du tir assis dans un trou derrière les 4 pièces crie : « telle pièce, tels éléments ! Feu ! ». A ces indications tous les hommes de la pièce concernée se réveillent, pointent, chargent la pièce, mettent le feu, tombent à terre et se rendorment. Seul, ou presque le commandant du tir qui est le capitaine ou l’un d’entre nous veille, sa table de tir d’une main, sa montre dans l’autre et sa carte devant lui. Toute la nuit nous continuons à tirer sans que les allemands nous répondent. Vers 6 heures cependant quelques obus arrivent de notre côté, trop à gauche heureusement un coup tombe sur la bicyclette de notre cycliste Vallée et la pulvérise. Breton, l’ordonnance du capitaine est presque soulevé de terre par les deux chevaux qu’il tient par les rênes, les malheureuses bêtes se cabrant de peur au bruit des projectiles. Beaucoup d’obus d’ailleurs n’éclatent pas et nous en comptons 20 de suite qui s’enfoncent dans la terre avec un bruit mat. Ce sont probablement des obus de 105 et peut être même de 150. Mes hommes qui ne bronchent pas d’un pouce lorsque les obus éclatent sont mis en joie lorsqu’ils n’éclatent pas. Nous entendons d’ailleurs nettement les coups de départ des pièces allemandes et à ce signal chacun écoute et dresse l’oreille. Le sifflement ne tarde pas à se faire entendre, augmente rapidement, et se termine en floc ! ridicule salué par des cris de joie et des lazzis : « Demandez la camelote boche ! Exigez le K ! Voyez, article incassable ! Encore un qui fait moutarde ». Mon téléphoniste, Hubert, lorsqu’un obus n’éclate pas, a un si air comique pour s’écrier : « Oh !!! Pardon ! » que nous sommes tous secoués d’un véritable fou rire. L’artilleur boche dégouté de son insuccès se met à tirer par 4 coups : floc ! floc ! floc ! floc ! La joie ne connait plus de bornes. Malheureusement le boche se met à changer les éléments de son tir et après avoir tiré 100 ou 200 coups à notre gauche, commence à exécuter dans notre coin un arrosage systématique. Maintenant les obus tombent à droite dans le bois vers l’endroit où se trouve mon échelon. Les éclats et mottes de terre pleuvent de tous côtés mais personne ne bronche. La petite séance dure déjà depuis plus de 2 heures et plusieurs centaines de coups ont été tirés dans notre coin sans nous causer aucun dommage. Il n’en est malheureusement pas de même pour une batterie de 120 court du groupe Garnier qui se fait littéralement écharpé à notre droite. 32 hommes sont tués ou blessés en quelques minutes. 80 chevaux sont tués raides et une vingtaine d’autres gravement blessés doivent être abattus. Nous continuons à tirer mais nos munitions s’épuisent. Les colonnes légères ne viennent pas, ce qui est naturel puisque le colonel les a envoyées à Fléville. J’espère cependant que des ordres ont été donnés pour les faire revenir, et pour hâter le mouvement le capitaine me donne l’ordre à 8h45 d’aller au-devant des colonnes légères au-delà de Nantillois. Je fais donc monter à cheval et pars à bonne allure, d’autant meilleure que les obus tombent maintenant en plein sur nous. Le capitaine craignant sans doute qu’à une allure aussi vive mes hommes ne se laissent gagner par la panique me crie : »Doucement ! Desaulle ! ». Je comprends immédiatement l’intérêt qu’il y a dans une modération de l’allure et je fais passer au pas pendant une cinquantaine de mètres ce qui n‘est pas d’ailleurs du gout de mon cheval. Au bout de peu de temps je fais reprendre le trot mais cette fois à l’allure du « marchand de cerises » malgré les obus qui continuent à tomber autour de nous. A Nantillois où nous arrivons bientôt, pas de colonne légère. Comme pour venir de Fléville elle est obligée de passer par Cierges je vais au-devant d’elle sur cette route jusqu’à mi-chemin des deux villages mais je ne vois rien. J’ai d’ailleurs à cet endroit une vive altercation avec le commandant Rollet du 45ème d’artillerie dont le groupe est en batterie près du carrefour de la route de Cunel. Ce commandant, pour je ne sais quelle raison, émet la prétention de m’empêcher de passer. Je lui laisse entendre que j’ai une mission à remplir et que je la remplirai malgré lui. Cela ne l’empêche pas d’arrêter mes chevaux mais je me précipite sur mon attelage de tête : « c’est moi qui commande ici ! En avant ! » et je passe. Au bout d’un certain temps, ne voyant rien venir je me décide à revenir à Nantillois et à chercher quelques renseignements près du colonel. Je trouve ce dernier sur la route de Septsarges, assis au pied d’un arbre à côté de son capitaine adjoint et sa première question est pour me demander si je n’ai pas rencontré à Nantillois l’homme qui doit lui apporter le pigeon aux petits pois qu’il a commandé ! Je lui fais part de ma visite : savoir où sont les colonnes légères car nous manquons de munitions : « Mais je n’en sais rien ! Comment voulez-vous que je le sache ? D’ailleurs cela n’a pas d’importance puisque vous allez vous replier. Je vais vous donner un ordre. Tenez Bisch, écrivez : La situation…. De nos troupes…. Etant intenable … un repli…. Ou plutôt non ! Rayez tout cela et écrivez : Etant donné la situation…. De nos troupes…. ». Enfin au bout de plusieurs minutes je finis par avoir un papier me donnant ainsi qu’à la batterie l’ordre de rentrer à Cierges. Je me dirige donc vers ce village en passant par la route et forme le parc au sud de la route de Montfaucon. Je fais de suite boire mes chevaux qui n’ont rien bu depuis le matin et vais me ravitailler auprès de la colonne légère que je viens enfin de rencontrer. Bientôt d’ailleurs un nouvel ordre nous renvoie à Nantillois et nous reformons le parc au même emplacement que la veille sur la route de Septsarges. A 19 heures la batterie reçoit l’ordre de se mettre en position vers la côte 295 où elle passe la nuit. Quand à mon échelon il reste à son même emplacement et je passe la nuit sous une voiture. Pendant toute la nuit nous avons tiré plus de 300 coups mais c’est à notre gauche que le combat parait le plus violent. Les allemands essaient toujours de passer la Meuse au nord de Dun car à partir de ce point les hauteurs de la rive gauche de la Meuse sont beaucoup moins élevées que du côté de Sivry et surtout beaucoup moins près de la rivière. Le passage est beaucoup plus facile que devant nous et de fait les allemands arrivent à franchir la rivière mais dans l’après-midi notre infanterie reprend Sassey et rejette l’ennemi au-delà de la Meuse.
![]() Le 30 août à Bonne Fontaine le ltn Teinturier, au second plan un trou de marmite |
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31 août : Dans la matinée la batterie envoie à l’ennemi une centaine de projectiles et en reçoit quelques-uns sans grand dommage. Vers 6 heures du matin l’ordre nous arrive de retourner à Cierges. Le parc est formé à la sortie ouest du village sur la route d’Epinonville et nous nous reposons un peu. L’entrée du champ où nous devons est affreusement mauvaise et je me demande comment pourra entrer sans se démolir mon chariot de batterie éclopé ! Quelle catastrophe ce serait pour nous s’il fallait abandonner le contenu de ce précieux chariot. Tout se passe heureusement assez bien, ma réparation de fortune se comportant mieux que je ne l’avais espéré. Ayant reçu ma cantine je peux faire ma toilette et changer de linge ce qui ne m’est pas arrivé depuis Vacherauville. Et puis nous profitons de ce moment de répit pour réparer nos canons dont le fonctionnement nous cause de graves ennuis. Aux fortes charges, une pièce capitale du canon nommée barre de linguet et qui contribue au mouvement d’ouverture de la culasse se fausse et empêche tout mouvement.
Nous démontons donc nos canons et redressons les pièces faussées. Quant à nos pauvres chevaux ils sont littéralement éreintés et ne tiennent plus debout. Pendant que nous procédons à ce travail nous voyons passer sur la route qui monte à Romagne une division du 6ème corps dans une tenue splendide. Les hommes chantent et l’aspect de cette belle troupe nous remplit de confiance et d’émotion. Toutes les unités sont à leurs distances et il n’y a pas un trainard. Le capitaine et moi, nous regardons ce spectacle le cœur bien ému. Le passage de cette division du 6ème CA est le plus beau souvenir de ce triste jour. Nous profitons tous aussi de ce répit pour manger un peu et faire notre plein de munitions. Vers 17 heures, ordre de remonter à Romagne sous Montfaucon où nous arrivons derrière des unités de renfort du 150ème d’infanterie. Le parc est formé à l’entrée de Romagne et voyant que nous allons sans doute passer la nuit à cet endroit nous prenons la formation de bivouac mais à peine les cordes à chevaux sont-elles tendues qu’un nouvel ordre arrive : Il faut aller à Cunel. La nuit est déjà tombée lorsque nous partons aussi la traversée de Romagne encombrée de troupes se fait-elle avec quelques difficultés. Parmi ces troupes nous rencontrons une compagnie de chasseurs forestiers. Le parc est formé à l’entrée de Cunel et nous nous étendons par terre cherchant un peu de repos. Nous sommes maintenant aux ordres du 5ème CA dont l’artillerie est commandée par le général Labarraque. Le mouvement que nous exécutons confirme bien ce que je pensais hier : c’est vers le nord que les allemands tentent le plus gros effort. Le combat a été rude toute la journée et le groupe a eu son premier blessé par le feu : uns sous-officier de la 3ème batterie blessé à la jambe, assez légèrement d’ailleurs.
![]() 31 août inspection du matériel à Cierges |
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