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5 novembre : Les jours continuent à s’écouler avec une monotonie désespérante. Le capitaine est rentré de permission depuis le début du mois. La situation est toujours calme mais aujourd’hui les Boches ont le mauvais gout de nous envoyer en plein dans la batterie une bordée de 77. Heureusement personne n’est blessé.

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7 novembre : Dans l’après-midi nous recevons la visite de notre nouveau chef de corps le colonel Toupnot accompagné de son adjoint le capitaine Bisch. Ce nouveau colonel a l’air d’un brave homme mais ne parait guère fort en artillerie. Quant à son capitaine adjoint il est, comme toujours, parfaitement idiot. Je m’ennuie de plus en plus dans cette inaction. Notre vétérinaire, lui, trouve que tout va bien. « Je ne me languis pas ! » dit-il avec son accent de Perpignan pourvu qu’il puisse aller de temps en temps faire un petit tour à Bar le Duc. Nous lui pardonnons ces escapades à condition qu’il nous rapporte des provisions et du « jardinage » comme il dit, ce dont il s’acquitte fort bien. Ces jours ci il nous a rapporté un chargement de plus de 100 kg !

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19 novembre : Je reçois dans l’après-midi une visite qui me fait bien plaisir, celle du capitaine Coulaux commandant la compagnie de chasseurs forestiers qui étaient avec nous l’année dernière. Je lui demande des nouvelles de son frère capitaine au 91ème d’infanterie et qui, il y a un an à pareille époque avait déjà la Légion d’Honneur et 3 citations. J’apprends qu’il a depuis encore récolté plusieurs citations mais malheureusement aussi une blessure très grave dont il a failli mourir. Il est maintenant hors de danger et à peu près rétabli mais il conserve un éclat d’obus dans le poumon, deux dans la jambe, un dans l’épaule et un dans la hanche. Bien que marchant avec deux béquilles il a demandé à repartir au front : « Puisque les Boches sont encore en France, dit-il, je n’ai pas le droit de me reposer. » Aujourd’hui un nouveau groupe  de Rimailho du 107ème vient se mettre en position devant nous. Il est commandé par un ancien officier que j’ai connu au 31ème d’artillerie, le capitaine Cavillon ayant comme adjoint le lieutenant Brun, fils du général, ancien ministre de la guerre. Je retrouve dans ce groupe un de mes camarades de promotion, Bernardin.

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20 novembre : Il parait que nous devons déménager du Claon pour aller cantonner aux Islettes. Je me hâte d’aller aux renseignements et j’en profite pour aller déjeuner aux Islettes à la 12ème batterie avec Moreau, Millot et Rouyer. Le cuisinier de la 12ème est un professionnel, aussi nous faisons un repas mirobolant dont le plat de résistance est constitué par des filets de sole Marguery !!!Tout cela est parfait mais nous nous ennuyons terriblement ! Le moment le plus agréable de la journée au cantonnement est le salut que notre aumônier donne tous les soirs à 5 heures dans la petite église du Claon. A cette petite cérémonie journalière je remplis les fonctions de premier chantre, accompagné sur l’harmonium par mon excellent camarade Surm ???  , médecin auxiliaire attaché à l’ambulance du Claon.

23 novembre : Me voici de nouveau grand chef mais cette fois pour un mois car le capitaine part suivre un cours de 15 jours au Camp de Châlons à la suite duquel il il prend sa permission. Je commande donc le groupement d’AL 125qui comprend maintenant en plus de ma batterie, les 4 pièces de 95 du Claon, 4 pièces de 155C du chemin des Romains, 2 pièces de 155 de la Forestière et 2 mortiers de 220 de la Forestière soit en tout 16 pièces.

24 novembre : Notre déplacement pour les Islettes étant décidé la batterie part le matin dans le plus grand ordre. Il ne reste plus au Claon que Jadet, Dumay et moi ainsi que nos ordonnances, le cuisinier et le cycliste Lorson qui est toujours aussi extraordinaire. Ces jours derniers, le capitaine lui a infligé une punition exemplaire pour avoir satisfait un besoin naturel mais malodorant dans le grenier de notre maison qui lui sert d’habitation. Quelques jours avant il avait déjà, lors d’un échange de vêtements, rendu au chef Emerit des vêtements couverts de poux. Ce brave Lorson est en effet d’une saleté proverbiale. Le jour de la punition infligée ci-dessus rappelée, nous nous trouvions le capitaine, l’abbé Henry et moi en train de bavarder lorsqu’on cogne à la porte. « Entrez ! » crie le capitaine. La porte s’ouvre discrètement et nous voyons apparaitre la haute taille et la barbe de Lorson «             Vous voulez me ficher le camp ! » hurle le capitaine avant que le délinquant ait pu franchir le seuil de la porte. Quelques minutes se passent : on heurte de nouveau la porte : c’est encore Lorson, une lettre à la main. Cette fois le capitaine éclate voyant que Lorson, s’il n’ose entrer, tient absolument à présenter une justification quelconque. Devant l’attitude déterminée du capitaine Lorson bat cependant en retraite non sans avoir déposé sur l’édredon du lit la lettre qu’il tenait à la main. Le capitaine, qui s’est emparé de la lettre est toujours furieux et fait mine de la déchirer. Quant à l’abbé Henry et moi nous nous tordons. Devant notre insistance le capitaine décachète l’enveloppe qui contient un billet de 100 francs et un petit mot conçu à peu près en ces termes : « Mon capitaine, je sais que je suis un sale cochon et que je me suis conduit comme une sale goujat. Vous avez bien fait de me punir, mais il ne faut pas me chasser. Je veux toujours être près de vous, je serai votre chien caniche et je coucherai sur votre paillasson. Et puis pour me punir davantage je joins à ma lettre un billet de 100 francs que vous voudrez bien donner à l’abbé Henry pour ses braves fantassins. Votre cycliste repentant. Lorson » A la lecture de ce « poulet » notre hilarité ne connait plus de bornes. Le capitaine veut naturellement rendre les 100 francs mais l’abbé Henry s’y oppose. « non, non ! Vous n’avez pas le droit de rendre cet argent ! Il est à moi ou plutôt à mes fantassins et je l’emporte. » Ce Lorson fera toujours notre joie. Dumay en bon latiniste l’appelle « Lorso pilossus » le « poilu Lorson ».

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