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1er juin : Notre  camarade Gros nous quitte pour être adjoint au colonel Arbanère commandant une brigade d’infanterie.

6 juin : Aujourd’hui, pour la mille  et unième fois la division de droite tente une attaque sur Vauquois avec l’aide d »e jets de pétrole enflammé mais cette attaque comme les précédentes ne donne aucun résultat. A part cette petite tentative la situation est toujours calme et le cafard ronge un peu tout le monde. Les bruits les plus ridicules circulent surtout à propos de l’attaque au nord d’Arras. Il parait que dans cette affaire une division s’est avancée jusqu’à Petit Vimy ce qui n’est pas du tout pareil. De là à dire qu’elle était allée jusqu’à Lens il n’avait qu’un pas et il a été vite franchi. A cette nouvelle les stratèges en chambre qui foisonnent sur le front de s’écrier en sirotant leur café : « Mais puisqu’on était allés jusqu’à Lens pourquoi ne pas avoir poussé à droite et à gauche pour élargir le trou ? Pourquoi avoir fait rétrograder la brigade qui s’était avancée jusqu’à Lens ? Pourquoi ne pas avoir jeté derrière elle une autre brigade pour la soutenir ou des divisions de cavalerie, pourquoi ceci, pourquoi cela, pourquoi…….. ? » Toutes ces âneries me font mettre dans des colères terribles et il en est de même lorsqu’on vient me dire dans le tuyau de l’oreille avec un petit air entendu : « Dites donc, entre nous, bien sincèrement, croyez-vous que Joffre soit à la hauteur de sa tâche ? Il parait que……  Je tiens de source certaine que …. Ce qu’il y a de sûr c’est que le ministre Machin a dit au général Chose….. »

7 juin : Vers 11 heures le général Sarrail accompagné de monsieur Millerand, ministre de la guerre, passe au Claon venant d’inspecter le secteur du côté de la maison Forestière. Je manque d’être renversé par leur auto.

8 juin : Aujourd’hui nouvelle tentative de réglage par avion mais cette fois couronné de succès. L’objectif est une batterie allemande aux environs de Vauquois. Le réglage s’effectue dans de très bonnes conditions et nous faisons sauter un abri à munitions.

Mon tramway est maintenant terminé et je laisse à mes voisins le soin de le prolonger jusqu’au bout du Mont de Villiers mais comme nous ne tirons pas beaucoup, ce tramway sert surtout de toboggan pour la plus grande joie  de mes hommes. A part cela nous continuons à nous ennuyer fermement dans notre coin et pour me distraire j’en suis rendu à apprivoiser des mulots ce qui est une chose d’ailleurs très facile. Ces petite bêtes pullulent dans ma cagna et sont d’une hardiesse invraisemblable. Ce dressage me rappelle Latude et ses araignées (NOTE DE L’ÉDITEUR : Jean Henry, dit Danry, dit Masers de Latude (né le 23 mars 1725 à Montagnac et mort le 1er janvier 1805 (à 79 ans) à Paris) est un prisonnier français, célèbre par ses nombreuses évasions), Si l’année avait été favorable aux hannetons nous aurions encore eu là une source de distractions honnêtes et reposantes. Les gens malins et adroits peuvent se livrer en ce moment au dénichage de merles et de sansonnets, mais il y a mieux encore : c’est l’élevage de renards, assez communs dans notre coin. Nos voisins de la montagne se sont fait une spécialité de ce genre d’exercice et ont pu en attraper trois. Ce sont des bêtes superbes mais qui sont bien difficiles à apprivoiser. Il y a toujours aux environs beaucoup de sangliers qui viennent le soir manger aux portes de nos cagnas les reliefs de nos festins. Les chevreuils sont aussi nombreux et nous les entendons souvent la nuit trotter sur le chemin avec leurs petits bêlements plaintifs mais il est impossible de les chasser maintenant car le bois est vraiment trop touffu. Hier au soir en sortant de ma cagna j’ai aperçu sur le chemin un superbe chat sauvage qui s’est naturellement enfui à mon approche. Enfin comme autres animaux particulièrement malfaisants nous avons les Boches, mais pour  ce gibier-là la chasse est libre.

Dans la soirée le colonel Peyronnel me téléphone pour me dire que l’emplacement de la batterie démolie ce matin, déduit des résultats de mon tir est faux car il diffère de 300 mètres de l’emplacement de cette batterie. Je vérifie mes calculs et ne trouve aucune erreur ; je suppose que l’aviateur m’a réglé sur une autre batterie.

10 juin : Pour liquider la contradiction d’avant-hier le colonel me fait recommencer le tir sur la batterie en question en faisant observer le tir par mon camarade Maison. J’arrive aux mêmes résultats que l’avant-veille, d’où j’en conclus immédiatement que la table de tir qui nous sert pour nos calculs est fausse. Le colonel auquel je confie cette idée me rit au nez « Apprenez, jeune homme, que les tables de tir sont exactes et qu’il n’y a que des mauvais artilleurs ! » Malgré cette condamnation sans appel je ne me tiens pas pour battu. Le tir exécuté ces jours-ci l’a été avec des obus ordinaires en fonte qui n’ont pas de tables de tir spéciales. On doit se servir des tables calculées pour l’obus à mitraille, tables qui sont, comme dit le règlement, « applicables par extension » aux obus ordinaires. Cette formule ne veut absolument rien dire et comme les deux obus n’ont ni la même forme d’ogive ni la même forme de culot ni le même poids ni le même volume ni la même densité il n’est pas étonnant qu’ils se comportent de manière  différente sur leurs trajectoires. Je suis certain que l’obus ordinaire pour le même angle de tir porte plus loin que l’obus à mitraille.

Pour en avoir le cœur net j’exécute un tir comparatif sur la corne du bois de la côte 239 qu’on voit  parfaitement de mon observatoire : ce tir confirme mes prévisions : la table de tir est juste pour l’obus à mitraille mais fausse pour l’obus ordinaire. Donc depuis six mois que nous tirons des obus ordinaires tous nos tirs non observés ont été trop long de 6 à 7%. Cette constatation me navre.

Aujourd’hui les coloniaux quittent le secteur ainsi que le 332ème qui est remplacé par le 91ème territorial. Les coloniaux n’ont pas été prévenus de ce départ et justement ces jours ci ils ont reçu une cargaison énorme de vêtements et d’équipements de tous genres qu’ils ne peuvent emporter et dont nous allons profiter.

11 juin : Le colonel m’ayant demandé de lui remettre aujourd’hui avant 10 heures un rapport sur mon tir de ces jours derniers, je suis obligé d’aller chercher mes documents à la position de batterie. Parti à cheval du cantonnement à 4 heures du matin je suis de retour à 6h30. A 8h45 mon rapport étant fini je file à Clermont en Argonne expliquer mon cas au colonel. Je ne trouve que son lieutenant adjoint cet idiot de Flamen auquel je m’efforce mais en vain de faire comprendre quelque chose. A midi ½ je suis de retour au cantonnement passablement éreinté par cette promenade de 40 kilomètres par une chaleur assez forte.

15 juin : Le colonel Peyronnel ayant sans doute lu mon rapport avec quelque attention commence à croire que, peut-être, je pourrais avoir raison et consent à faire exécuter un tir  de comparaison sur la fameuse corne du bois 239. A cet effet Bachelier nommé sous-lieutenant depuis deux jours et le capitaine montent à l’observatoire du Mont de Villiers et nous exécutons ce tir qui confirme une fois de plus mes hypothèses.

16 juin : La brigade Arbanère prenant la droite du secteur l’abbé Henry nous quitte pour aller à Lochères, ce que nous regrettons beaucoup. Il est vrai que nous reverrons certainement ce brave abbé qui ne passe pas un jour par  semaine au cantonnement. Il est constamment dans les positions avancées d’artillerie ou en première ligne avec les fantassins qui l’adorent. Dans tous les postes de commandement l’abbé Henry a son lit et son assiette. Nous espérons donc le voir presque aussi souvent que d’habitude.

La 2ème batterie  qui est toujours dans le secteur de Vauquois avec la 3ème quitte cette région pour une destination inconnue.

Dans l’après-midi je fais une nouvelle visite au cimetière de la cote 263 mais ne recueille toujours aucune certitude au sujet de la tombe de Fernand Gautier.

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21 juin : En vue d’une opération de notre part, dont nous ne savons ni la date ni le lieu, un tir doit être réglé à l’est de la Haute Chevauchée sur les tranchées allemandes de première ligne. L’observatoire le plus commode pour ce réglage étant la crête de la Fille Morte nous nous y rendons dans la matinée, le capitaine, Bachelier et moi. Le temps est superbe et de l’observatoire nous voyons parfaitement nos objectifs. Le réglage s’effectue donc dans de bonnes conditions mais le Boches ne tardent pas à protester énergiquement en bombardant le ravin des Meurissons. C’est ce que les communiqués allemands appellent un « duel d’artillerie »

C’est bien un duel mais dans lequel les deux adversaires tirent sur les témoins qui, dans l’espèce, sont les fantassins des premières lignes. Il est rare en ce moment qu’une artillerie prenne systématiquement à parti une batterie adverse. Cette situation se modifiera d’ailleurs rapidement.

27 juin : Dans l’après-midi Bachelier et Hubert étant allés régler un tir sur l’ouvrage « Suzanne » dans le Faux Ravin des Courtes Chausses sont violemment bombardés. Bachelier est à moitié enseveli par un obus tombé sur le parapet et à moitié asphyxié si bien qu’il doit s’aliter en rentrant au cantonnement. Pendant ce temps une très violent attaque se déroule à gauche dans le bois de la Gruerie.

28 juin : La canonnade est toujours vive à gauche et nous n’avons toujours aucun renseignement bien précis sur ce qui se passe. Mon cycliste Lorson qui colporte tous les « communiqués de cuisines roulantes » ne sait rien. Il est pourtant ce soir en veine de confidences et me raconte qu’il a été blessé à la bataille de la Marne, soigné à Paris et envoyé en convalescence à Menton. Il me parle avec attendrissement de son séjour là-bas et me raconte en particulier qu’avec plusieurs camarades il a été invité à dîner par Marthe Chenal (NOTE DE L’ÉDITEUR : célèbre soprano d’opéra française). Il porte d’ailleurs dans son portefeuille le portrait de cette actrice costumée en « Marseillaise » portrait orné d’une dédicace.

30 juin : Dès quatre heures du matin la canonnade éclate à gauche avec une violence rare. Cette fois c’est une attaque de grande envergure. Les Allemands doivent employer sans doute des gaz asphyxiants car une odeur bizarre et pénétrante se répand dans la vallée jusqu’à nous. Vers le midi le corps d’armée de gauche, le 32ème, fait appel à notre concours. Chavane file donc immédiatement à cheval à la Placardelle pour se mettre en liaison et recevoir des ordres. Il est d’ailleurs fort mal reçu et pendant le trajet son ordonnance Bocher qui l’accompagne reçoit dans le genou un coup de pied de cheval si malencontreux que nous devons l’évacuer.

Dans l’après-midi les voitures de blessés commencent à arriver assez nombreuses et par eux nous apprenons que le 32ème corps a été obligé de reculer. Dans la soirée la lutte recommence encore plus ardente et les bruits les plus pessimistes circulent à propos de cette attaque.

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