Capitaine Pierre DESAULLE
Mémoires de guerre 14/18
1er février : Le sol est depuis plusieurs jours couvert de neige et le matin nous y relevons de nombreuses traces de sangliers. Armé d’un mousqueton je vais faire un petit tour de chasse mais naturellement je rentre bredouille. Plus heureux que moi Chavanne tue un chevreuil à sa position.

Cet après-midi comme je suis au cantonnement en train de faire ma correspondance, une fanfare éclate dans la rue. C’est le 18ème bataillon de chasseur qui monte en ligne musique en tête avec une allure superbe. Les mulets de bât qui suivent en queue du bataillon et portent les mitrailleuses sont obligés de trotter pour suivre le train endiablé des chasseurs. Tous les hommes sont d’une propreté remarquable : cheveux courts, barbes rasées, paquetages tirés à quatre épingles. Comme contraste nous avons au cantonnement des fantassins appartenant à un régiment du corps d’armée. Ils sont absolument aussi sales aujourd’hui qu’ils étaient à leur arrivée au cantonnement avant-hier. Ils ont des têtes de pouilleux, horribles à voir et surtout des mines de chiens battus.
Quant à leur tenue elle est invraisemblable et digne du crayon de Callot (NOTE DE L’ÉDITEUR Jacques Callot 11592 Nancy 1635. Graveur « les misères de la guerre »). En regardant passer les vitriers ils disaient « ce n’est pas étonnant qu’ils soient si propres ils arrivent du dépôt ! » Je me suis retenu à quatre pour ne pas leur flanquer des coups de pied au derrière.
2 février : Ce matin, grande nouvelle : une de nos juments a mis au monde un superbe poulain gris. Je pensais que nous pourrions le garder comme enfant de troupe de la batterie mais il parait que c’est impossible. Dès qu’il pourra se tenir sur ses pattes et marcher convenablement il faudra l’envoyer avec sa maman dans un haras. Comme quoi ayant un cheval de plus nous aurons un cheval de moins. Cet après-midi nos artistes du génie sont venus nous chanter Werther et c’était vraiment comique de voir Werther sous l’uniforme d’un sapeur du génie faisant des déclarations d’amour à Charlotte représentée par un autre sapeur barbu assis sur mon poêle et fumant sa pipe.
Le temps continue à être beau et les avions en profitent pour se promener. Ce matin un de nos avions a été salué par l’ennemi de plus de 50 coups de canon sans dommage. Peu après un de nos Nieuport a survolé les lignes allemandes sans être inquiété, les allemands le prenant sans doute pour un des leurs. Quand il fait beau comme aujourd’hui nous allons nous promener sur « la plage ». Nous appelons ainsi le pré en pente qui s’étend entre la lisère du bois et le chemin des Romains. Il fait, dans ce coin abrité, une température délicieuse.


3 février : Les combats à notre gauche ne cessent ni de jour ni de nui, mais aujourd’hui en particulier vers 11 heures la canonnade éclater avec une rare violence. Dans la soirée elle reprend avec une même intensité. La lutte est d’une âpreté extrême du côté de de Fontaine Madame, St Hubert, Fontaine la Mitte. Les tranchées sont prises et reprises 3 à 4 fois dans la même journée. Pendant le mois de décembre 9 attaques au moins sont déclenchées par les allemands sur Fontaine Madame et Bagatelle. En journée du 15 au 26, 15 attaques allemandes se succèdent entre Fontaine Madame et Saint Hubert. Les français ripostent par des contre-attaques immédiates et ces luttes terribles aboutissent à des gains de quelques mètres. Le 27 janvier attaque Bagatelle. Le 28, nouvelle attaque suivie de 6 contre-attaques. Le 29 janvier 2 attaques, le 30 une attaque. Les 1er et 2 février 4 attaques ; le 3 une attaque. A ce régime les pertes sont terribles de chaque côté.
5 février : Le temps continue à être d’une douceur exceptionnelle et l’aviation est toujours très active. Ce matin un monoplan boche vient se promener audacieusement au-dessus de nos lignes, mais malheureusement pour lui, un de nos monoplans armé d’une mitrailleuse fonce vers lui à toute vitesse. Le boche bravement fait demi-tour et, pour se mettre à l’abri, cherche à se rapprocher du sol ; mais notre monoplan placé en dessous l’en empêche. Je ne vois pas la suite de ce duel passionnant qui se déroule au-dessus des lignes allemandes mais je ne serai pas étonné que l’avion boche ait été descendu. Une demi-heure après notre chasseur rentre dans nos lignes salué par d’innombrables coups de canon dont il parait se moquer complètement. Depuis quelques temps nos avions sont munis de mitrailleuses pour se défendre contre le boche : jusqu’à ce jour ils étaient réduits à se défendre à coups de revolver ou de mousqueton. L’armement des boches n’est d’ailleurs pas meilleur.
6 février : Nous avons à déjeuner aujourd’hui un camarade du capitaine sous-lieutenant au 33ème colonial. Il nous raconte leur attaque du 20 décembre à la main de Massiges, attaque qui aurait été un grand succès si nous avions eu les moyens de l’exploiter.
7 février : Le matin Plantade apprend qu’il est nommé capitaine, ce dont nous le félicitons bien vivement. Pour l’instant il va rester à la batterie car il n’y a pas de poste vacant pour lui.
Aujourd’hui, je prends connaissance de rapports forts intéressants sur les interrogatoires de prisonniers allemands qui sont 4 polonais pris il y a 15 jours devant nous par le 331ème, le westphalien pris par le 31ème et 4 aviateurs montant 2 avions dont l’un a atterri à Bar le Duc et l’autre à Chalons. Etant en reconnaissance dans nos lignes ces deux avions boches ont eu leur retraite coupée par deux avions français. Le premier a pensé rentrer chez lui par St Mihiel et le second en faisant un détour par la Champagne, malheureusement pour eux, le vent est plein nord, leurs moteurs ne sont pas assez forts et ils manquent d’essence. Nous les capturons donc aisément. L’interrogatoire de ces 4 aviateurs allemands est intéressant. Ils manifestent leur étonnement de voir la qualité de l’artillerie lourde que nous avons en ce moment en ligne alors que nous n’avions rien au début de la campagne. On a en effet amené sur le front toutes les pièces de forteresse de l’intérieur et en particulier dans notre secteur on a pu mettre en batterie une partie des 700 pièces de canon rassemblées dans la place de Verdun. Le reste du front est équipé de canons venant de Toul, Épinal, Belfort. On en ramène aussi de Toulon, d’Alger et même des colonies. Cette artillerie, relativement bien approvisionnée en munitions est très active et les boches s’en aperçoivent. Ce qui les étonne aussi c’est la justesse « fabuleuse » de nos tirs. Le mot est textuel. Le bulletin de renseignement nous informe que nous avons devant nous le 16ème corps de Metz comprenant le Metzger Régiment, les 30ème, 98ème, 130ème et 135ème régiment d’infanterie et le 29ème pionnier.
8 février : L’après-midi le capitaine, Chavane et moi nous allons faire un tour à la position avancée où se trouve Plantade. A peine arrivons-nous à la Chalade que les boches se mettent à tirer sur le village. Un obus tombe dans l’église. Cependant nous arrivons sans encombre à la position avancée, mais là autre musique ! Les balles pleuvent sur la position comme bien souvent et le plus curieux c’est que ces balles sont françaises. Plusieurs viennent se piquer dans les arbres à côté de nous et j’en ramasse une comme souvenir. Elles sont d’ailleurs à bout de souffle et s’enfoncent à peine de 1 centimètre dans le bois des arbres. Toutes ces balles viennent du secteur de gauche où la lutte a encore été vive hier et aujourd’hui.
9 février : Ce matin près de la batterie mes hommes ont tué un superbe chevreuil. Quant à moi si je tue des boches sans remords et à la rigueur des sangliers, je me sentirais complètement désarmé devant une biche ou un chevreuil. Naturellement ces chasses sont interdites mais pour que nos chefs deviennent nos complices nous offrons un cuissot de chevreuil au général Marchand. Ces jours ci mes hommes s »’amusaient à chasser des écureuils et cela m’a mis fort en colère car ces jolies bêtes me divertissent. Nous avons dans le bois depuis quelques jours des gazouillements d’oiseau ce qui est de bon augure.
11 février : Ce matin la neige se met à tomber et c’est par un chemin tout blanc que nous partons Plantade et moi pour observer un tir sur la cote 263. Notre observatoire est placé dans un arbre à l’extrémité de l’un des contreforts du Mont de Villers et dans lequel on monte par une échelle que nous y avons apportée.

De là on voit parfaitement la cote 263 et en particulier les fameuses carrières qui doivent être nos objectifs au cours de l’attaque que l’on prépare actuellement dans cette région. Nous tirons quelques coups de réglage que nous ne voyons d’ailleurs pas très bien car les éclatements sont mauvais. L’aspect de la forêt sous la neige est une véritable splendeur.
15 février : Aujourd’hui le général de division d’à côté est venu passer l’inspection du bataillon de chasseur à pieds de la Chalade et j’ai pu, une fois de plus, admirer cette belle troupe qui doit nous quitter ces jours ci pour aller prendre part sans doute à une offensive. Le soir comme je suis tranquillement installé dans ma cabane une violente fusillade éclate à ma gauche. Les allemands attaquent sans doute pour la 20ème fois dans le secteur de Marie Thérèse où dans celui de St Hubert où la lutte ne cesse toujours pas.

16 février : Le matin de bonne heure je suis réveillé par la fusillade, mais je n’y prête guère attention car cela arrive si souvent ! Mais vers 8h30 ou 9 heures je suis appelé au téléphone et j’apprends que les boches ont attaqué entre Bolante et la cote 263. Le 4ème d’infanterie qui tenait les tranchées à l’est du confluent des Meurissons, surpris par des explosions a, parait-il, lâché pied découvrant ainsi la droite des coloniaux qui tiennent les tranchées de Bolante au sud du confluent. La situation est grave. Immédiatement mes pièces entrent en action dans le secteur menacé et bien que nous ne soyons pas très riches en munitions nous tirons avec une certaine activité. Je ne quitte pas un instant le téléphone et j’entends le rapport fait au colonel Marchand par le commandant du secteur de droite : « Mon colonel, dit-il, en terminant, la situation est désespérée ! – Comment dites-vous, hurle Marchand furieux, désespérée ? Je vous donne l’ordre de tenir coûte que coûte, et je vous envoie le bataillon Ferry pour contre attaquer. D’ailleurs j’y vais ! ». La contre-attaque se déclenche et la situation est rétablie mais hélas au prix des plus lourdes pertes. Le commandant Ferry qui s’est porté à l’attaque à la tête de ses hommes est tué. 11 officiers sur 13 que compte le bataillon sont hors de combat ! L’ami du capitaine a reçu une grave blessure à la cuisse produite par une balle de ricochet. Les pertes en hommes sont également assez considérables. 25 prisonniers boches ont été capturés mais cela est loin de nous consoler. Dans l’après-midi comme je remonte à la position de batterie je rencontre un de ces prisonniers auquel on a laissé son fusil. Par habitude, en passant près de moi il se raidit au pas de l’oie et me porte les armes. Je dois dire que ce prisonnier boche, un jeune homme avait bonne mine et ne paraissait pas avoir trop souffert de l’alimentation au pain KK. Au cours de l’attaque d'aujourd’hui un fait d’armes peu banal a été accompli par un artilleur du 30ème d’artillerie. Cet artilleur était comme téléphoniste aux tranchées de première ligne avec un sous-officier de sa batterie. Dès le début de l’action, une mine en explosant sous leurs pieds les projette tous les deux en l’air avec leur poste téléphonique pendant que les boches se précipitent à l’assaut. En retombant sur ses pieds le sous-officier se retrouve nez à nez avec un officier boche qui lui tire un coup de revolver et le manque. Le sous-officier étant sans armes ne peut faire mieux que battre en retraite en toute hâte. Quant au téléphoniste, sautant sur son mousqueton il se met à canarder les boches aidés par 2 soldats du 4ème d’infanterie. Ces 3 hommes ont ainsi pu descendre une quinzaine de boches en conservant leur tranchée. Le commandement de groupe qui me raconte ce fait me lit en même temps le motif de citation du poilu en question, citation qui sera vraiment bien méritée. Ce téléphoniste a d’ailleurs reçu une balle dans le cou et c’est ce qui l’a obligé à abandonner la tranchée qu’il avait défendue si vaillamment. Au cours de cette attaque les boches ont envoyé du côté de la Haute Chevauchée des projectiles énormes, probablement au 305 qui font des trous d’une dizaine de mètres de diamètre.
Plantade qui est en reconnaissance de son côté avec son ordonnance le fidèle Cassin essuie à peu de distance quelques-uns de ces obus. Un éclat d’obus ayant la forme d’un violon et pesant environ 10 kg tombe aux pieds de Cassin qui le ramasse comme souvenir.
En prévision de l’attaque qui doit avoir lieu demain de nombreuses troupes passent au Claon.
17 février : Aujourd’hui une grande attaque doit se déclencher de la Meuse aussi à 5h30 nous sommes tous à nos postes de combat. L’attaque s’étend d’ailleurs vers la gauche et c’est là que commence la canonnade. Enfin à 10h40 nous déclenchons nos tirs sur 263 jusqu’à 11h10 et nous attendons. On téléphone d’ailleurs bientôt que l’attaque sur 263 a échoué et qu’elle doit reprendre à 14h25. Je ne quitte pas le téléphone ce qui me permet d’entendre à la fin d’un message du C.A. la phrase suivante : «Nous occupons Vauquois et Boureuilles. Profitez du moment favorable pour reprendre l’attaque sur 263 ». Malheureusement cette seconde attaque échoue comme la première. A gauche et à droite nous avons fait également quelques progrès mais les renseignements sont toujours rares. Pendant toute la journée il fait un froid assez vif et nous allumons pour nous réchauffer un immense feu de bivouac au milieu de la batterie sur lequel nous faisons griller des harengs saurs. Les servants préparent aussi du « jus » que le pointeur Oswald distribue dans …… un seau de toilette à fleurs fortement usagé. Cela ne nous empêche d’ailleurs pas de boire. Quant aux liaisons téléphoniques que nous devons maintenir avec la Maison Forestière du Four des Moines elles sont coupées fréquemment par les boches. A la première rupture Nadiras part sur la ligne pour réparer mais à peine a-t-il réparé que tout est à refaire. Malgré les ordres du capitaine il reste ainsi sur la ligne téléphonique longue de plus de 4 km et ne rentre qu’à la nuit tombante ayant passé toute la journée sous les obus pour assurer la liaison. A son retour le capitaine le félicite et établit immédiatement en sa faveur une demande de citation.
Le soir je rentre au Claon laissant la capitaine sur la position de batterie. La consommation de la journée a été de 156 coups et celle d’hier de 150.
18 février : A 7 heures je suis de nouveau sur la position de batterie et j’apprends en y arrivant que nous n’avons pris ni Vauquois ni Boureuilles ou plutôt que nous avons dû les abandonner. Le 31ème d’infanterie a atteint l’église de Vauquois mais a du rétrograder jusque sur les pentes sud. A gauche la canonnade dure toujours et ne cesse pas jusqu’à la nuit. Quant à moi je reste muet ayant presque épuisé mes approvisionnement par ces deux jours de combats.
19 février : Il arrive ces jours ci aux Islettes une histoire fort drôle à un commandant du génie qui a la charge des trains régimentaires de la division. Malgré les défenses faites et réitérées, ce commandant, logé chez monsieur de Granrut ?? le maire des Islettes, n’avait rien trouvé de mieux que de faire venir sa femme dans son cantonnement en la faisant passer pour la femme de chambre du maire. Vous pensez sans doute que pour avoir osé violer ainsi la consigne il fallait que les coupables aient été de jeunes époux. Erreur ! C’est justement là que l’affaire devient drôle. Le commandant est une vieille baderne de la territoriale haut comme trois pommes et dont le ventre traine à terre. Il ressemble à s’y méprendre à ce monsieur Prud’homme qui orne éternellement et si drôlement les couvertures du « Fantasio ». Nous l’appelons « le père la Roulotte ». Naturellement comme il y a partout de bonnes langues le général de division qui ne badine pas avec l’amour finit par apprendre la chose et, pour en être convaincu, il va se rendre au maire qu’il connait depuis longtemps une visite de politesse. Son arrivée brusque surprend tout le monde et on a tout juste le temps de faire disparaître « le corps du délit » dans un placard espérant que la visite du général sera brève mais lui, malin, n’en finit plus de s’en aller et l’heure du déjeuner arrive qu’il est encore là. Le maire pour le faire filer l’invite à déjeuner espérant un refus mais le général accepte ! Ne pouvant plus laisser la pauvre femme dans son placard jusqu’à ce qu’il plaise au général de partir on se décide à lui avouer la présence de cette « indésirable ». Le général se fâche naturellement et, très digne, refuse de déjeuner annonçant à la dame qu’elle doit filer dans les plus brefs délais. L’infortuné mari se voit infliger 15 jours d’arrêts et sa femme est conduite à la gare « manu militari » en l’espèce par un gendarme qui, comme dit la chanson, est sans pitié, d’autant plus sans pitié que le commandant du génie et le capitaine de gendarmerie ne peuvent pas se sentir. Le gendarme conduit donc la dite dame au capitaine de gendarmerie qui lui fait subir un interrogatoire en règle comme à un prévenu devant un tribunal sans oublier naturellement de lui demander son âge et feignant d’ignorer qu’elle est la femme du commandant. La pauvre a beau protester il semble n’être pas convaincu : « Vous m’étonnez madame car le commandant N… est incapable de désobéir aux ordres de ses supérieurs surtout étant donné son âge……. » Enfin, après un interrogatoire assez long il consent à la laisser en paix mais la fait embarquer dans le premier train en partance. Cette histoire fait naturellement le tour du secteur et tout le monde en fait des gorges chaudes.
Depuis quelques jours nous avons dans la division un nouvel aumônier l’abbé Henry, un prêtre du diocèse de Saint Dié où il est supérieur des missions diocésaines. C’est un homme remarquable, d’un dévouement sans bornes et d’une bonne humeur intarissable. Quand il vient déjeuner avec nous nos repas sont d’une gaieté extrême. Notre autre aumônier l’abbé Gailhouste n’engendre pas non plus la mélancolie..
24 février : Depuis hier me voilà pris par une grippe malencontreuse qui sera j’espère de courte durée. Toute la batterie est en émoi et cela me permet de constater une fois de plus l’affection dont le monde m’entoure. Hier lorsque la grippe m’a attrapé Chavane s’est précipité pour m’acheter du champagne, Plantade a envoyé un de ses hommes me chercher des œufs aux Islettes et m’a confectionné lui-même un bouillon de légumes avec un œuf battu dedans, Gros a attrapé un pinceau et s’est mis en devoir de me badigeonner de teinture d’iode . Tout le monde s’en mêle et Plantade veut absolument que je le réveille la nuit pour qu’il me donne à boire et, à cet effet, il me prépare le soir une infusion de camomille.
27 février : les cadres de la batterie s’augmentent d’une unité en la personne d’un sous-lieutenant sorti de Centrale en 1913 et qui s’appelle Dumay. Il vient de la 12ème batterie du 45ème et je pense que nous nous entendrons car il me parait avoir un heureux caractère. Nadiras aîné a été cité à l’ordre de la division pour sa conduite dans la journée du 17 février. C’est notre 4ème citation à la batterie, la première ayant été pour de Blois et les deux autres pour Bachelier.
Le soir nous dînons avec le médecin major de la compagnie du génie cantonnée au Claon. Ce médecin nous dit avoir rencontré dans la journée un de ses amis médecin rentrant de captivité en Allemagne et qui a failli être fusillé par les allemands. Il déclare avoir vu fusiller 400 soldats français et lui-même n’a dû son salut qu’à ce qu’il a pu interpeller un officier allemand qui lui a sauvé la vie.
Depuis ce matin une grande action est engagée entre Perthes et Beauséjour. Le général Langle de Cary attaque dans cette région avec plusieurs corps d’armée soutenus par une artillerie puissante. Nous nous en apercevons d’ailleurs car la canonnade fait rage depuis plusieurs jours.
28 février : Aujourd’hui je vais à la messe à l’église du Claon. L’abbé Gailhouste qui officie, en guise de sermon nous lit d’une voix vibrante la lettre pastorale du cardinal Mercier, archevêque de Malines et il met dans cette lecture un tel talent et une telle émotion que je me cramponne pour ne pas pleurer. Beaucoup de monuments de la Belgique sont anéantis par la guerre mais la lettre pastorale de son Primat restera comme un superbe monument de foi t de patriotisme en même temps qu’un remarquable morceau de littérature.
Dans l’après-midi nous attaquons une fois de plus Vauquois et Boureuilles et, une fois de plus, nous échouons. Cependant cette fois nous nous cramponnons aux pentes du village et atteignons même le rebord du plateau.













